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Mauritanie – Biram Ould Dah Abeid : « Nous ne sommes pas des pyromanes »

lundi 4 juillet 2016


Libéré le 17 mai, le leader de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste nourrit désormais l’ambition de devenir le premier président noir du pays. Interview.

Dix-huit mois derrière les barreaux ne l’ont pas assagi, bien au contraire. À peine franchie la porte de sa prison, le 17 mai, le président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Biram Ould Dah Abeid, 51 ans, se déclarait candidat à la prochaine présidentielle. Condamné fin 2014 à deux ans de prison pour « appartenance à une organisation non reconnue, rassemblement non autorisé, appel à rassemblement non autorisé et violence contre la force publique », il a recouvré la liberté grâce à une décision inattendue de la Cour suprême.

Malgré les menaces qui pèsent encore sur lui, ce Haratine – descendant de captifs -, qui vient d’ajouter le prix James-Lawson pour le combat non violent à une longue liste de distinctions du même ordre, continue de dénoncer l’esclavage et l’apartheid non écrit qui gangrènent la société mauritanienne. Tout en nourrissant l’ambition d’être le premier président noir depuis l’indépendance.

Jeune Afrique : Votre candidature à la présidentielle de juin 2014 est-elle à l’origine de votre arrestation cinq mois plus tard ?

Biram Ould Dah Abeid : Le climat était pesant. Le score officiel – près de 9 % – que j’ai obtenu au premier tour ne reflétait pas la réalité : beaucoup plus nombreux étaient les Mauritaniens qui se sont identifiés à mon discours, y compris dans l’armée. Au lendemain de l’élection, via un intermédiaire, le chef de l’État entendait m’amener à reconnaître la légalité du scrutin malgré les fraudes et malversations massives.

Dans le cadre d’un marchandage politique, j’étais prêt à négocier. En contrepartie, je demandais au pouvoir de reconnaître l’existence de l’IRA et de son émanation politique, le parti Radical pour une action globale (RAG).

Manifestement, la négociation a capoté…

Un émissaire du chef de l’État avait promis que celui-ci reconnaîtrait notre mouvement après sa prestation de serment. Le bureau de l’IRA s’est réuni, mais ses membres n’avaient pas confiance en la parole de Mohamed Ould Abdelaziz. Nous en sommes donc restés là.

Le mois suivant, vous interveniez devant la commission du Congrès américain sur les droits de l’homme au sujet de la persistance de l’esclavage et du racisme en Mauritanie…

Cela a été très mal perçu en haut lieu. Dans l’entourage présidentiel, les « faucons » en ont fait une affaire d’État. J’en ai eu des échos par un ex-haut fonctionnaire qui avait lui-même été approché par un officier influent, proche de Mohamed Ould Abdelaziz : « Ton ami est intraitable, il faut lui faire comprendre qu’il va le regretter. » Les autorités ont alors orchestré une campagne de diabolisation. On a prétendu que je mettais la Mauritanie en danger en dressant contre elle les États-Unis et autres forces hostiles, alliées aux sionistes, aux chrétiens, aux impies…

Vous vous êtes également mis à dos les autorités religieuses…

À cette période, lors d’un prêche du vendredi à la Grande Mosquée, le mufti de la République a affirmé que le prix des droits de l’homme que m’avait décerné l’ONU était une contrepartie versée par les sionistes pour mettre la Mauritanie à feu et à sang. Selon lui, je m’étais allié avec les ennemis de l’islam, ce qui justifiait qu’on se débarrasse de moi physiquement.

Pendant trois semaines, il y a eu des heurts entre ses disciples et nos militants, dont plusieurs ont été arrêtés. J’ai finalement appelé ces derniers à interrompre leurs interventions dans cette mosquée, et j’ai invité les autorités politiques et religieuses à entamer avec nous un dialogue apaisé.

En guise d’apaisement, vous serez arrêté peu après…

Début novembre 2014, je devais quitter la Mauritanie pour le Sénégal, d’où je comptais me rendre au Canada. La nuit précédant mon départ, quelqu’un m’avait mis en garde car il avait entendu le directeur de la Sûreté affirmer : « Maintenant, c’est au tour de Biram. » À Rosso, à la frontière sénégalaise, on m’a tendu un piège et on m’a arrêté, ainsi que d’autres responsables de l’IRA. Le tollé international les a tout de même dissuadés de nous réduire définitivement au silence.

L’opposition a boycotté les dernières échéances électorales. Apparemment, ce n’est pas votre position…

Il faut se rappeler que jusqu’en 2014 l’opposition traditionnelle était liguée contre la cause défendue par l’IRA, qu’il s’agisse de la lutte contre l’esclavage ou de la dénonciation de l’exclusion des Noirs. Ils n’ont jamais accepté notre engagement, ils nous ont combattus depuis notre création, au même titre que le pouvoir.

Avez-vous désormais des alliés sur l’échiquier politique national ?

Je suis heureux de constater qu’une grande partie de l’opposition a compris qu’à l’IRA nous ne sommes ni des pyromanes ni des ennemis. Il y a eu un rapprochement à la suite de notre arrestation en novembre 2014. Du box des accusés aux cellules insalubres où mes camarades et moi avons été détenus, notre résistance aux intimidations du pouvoir a fait réfléchir les partis d’opposition et la société civile, tout comme notre capacité de mobilisation. À Rosso, à Aleg ou à Nouakchott, où nous avons été incarcérés successivement, l’IRA a tenu la dragée haute au pouvoir.

Pourquoi la Mauritanie reste-t-elle figée dans ces fractures identitaires ?

Pour la communauté arabo-berbère mauritanienne, l’esclavage est un dogme de l’islam. Quiconque dénonce l’esclavage serait donc un ennemi de Dieu. Cette pesanteur culturelle se fait d’autant plus sentir que les militaires au pouvoir tiennent leur légitimité d’un clergé et de chefs tribaux largement obscurantistes, qui croient en la supériorité d’une catégorie d’hommes sur une autre en raison de la couleur de leur peau.

Le gouvernement ne peut pas s’en prendre à l’esclavage sans attenter au mode de vie et aux privilèges de ceux qui le légitiment. La communauté arabo-berbère bénéficie de la moisson sans avoir transpiré sous le soleil. C’est une société qui reste largement féodale.

Pensez-vous qu’un Noir puisse raisonnablement espérer devenir président en 2019 ?

Je pense que je peux triompher. Nous sommes prêts, et nous avons les moyens d’empêcher Abdelaziz de se livrer, au cas où il l’envisagerait, à un coup d’État constitutionnel.

Craignez-vous pour votre vie ?

J’ai fait un serment devant l’opinion et devant Dieu : je ne reculerai devant aucune forme de lutte légale pour débarrasser la Mauritanie de la dictature militaire et de cet apartheid. Si je dois mourir demain, ce sera sur le sol mauritanien.

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La popularité dont le « Spartacus mauritanien » jouit hors de son pays a le don d’exaspérer les faucons du régime, qui se passeraient bien de cette publicité tapageuse. Malgré sa création récente (2008), l’IRA a déjà engrangé nombre de prix pour son combat contre l’esclavage, de l’Irlande à l’Allemagne en passant par les Pays-Bas ou les États-Unis.

Le 22 juin, à Boston, c’est le révérend James Lawson, ancien compagnon de lutte de Martin Luther King, qui devait décerner à l’organisation – jamais autorisée officiellement – le prix qui porte son nom pour son combat visant à « libérer les esclaves et vaincre l’esclavage en Mauritanie ».

« Je préférerais que les Mauritaniens puissent résoudre leurs problèmes entre eux, mais si le régime bloque cette possibilité, il est inévitable que des organisations de défense des droits de l’homme de par le monde continueront de s’en mêler, comme du temps de l’apartheid en Afrique du Sud », analyse Biram Ould Dah Abeid, qui se considère comme « le Mauritanien le plus connu à l’extérieur du pays ».

Source : Jeune Afrique