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Biram Dah Abeid, la voix des esclaves modernes de Mauritanie

mardi 4 octobre 2016


Le regard noir, perçant, de Biram Dah Abeid témoigne à lui seul d’une vie de luttes. En mai, dès sa sortie de prison, le Mauritanien de 51 ans, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), s’est lancé dans une tournée en Afrique subsaharienne. Il entend dénoncer l’esclavage moderne auquel sont soumises les populations noires de Mauritanie. Infatigable malgré la fatigue des vols qui l’ont mené à Bamako, à Ouagadougou et à Abidjan. Début septembre, Biram Abeid a rencontré plusieurs hommes politiques et des membres de la société civile de ces trois pays. Son prochain rendez-vous, en octobre, est avec l’Union africaine, à Addis-Abeba, pour obtenir une condamnation de la Mauritanie.

Il doit aussi y rencontrer des membres de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, « dont certains commissaires, ressortissants de pays voisins, comme le Mali, soutiennent le gouvernement mauritanien contre l’IRA », lance-t-il en colère. Pour le militant en impeccable costard-cravate, le continent a trop longtemps fermé les yeux sur l’esclavage qui sévit toujours en Mauritanie, malgré son interdiction officielle en 1981. « Des êtres humains naissent propriété d’un autre. Ils peuvent être vendus, gagés, cédés, loués ou donnés, travaillent sans repos, sans salaire ni soins. Ils n’ont ni droit à l’éducation, ni à une pièce d’état civil. Les femmes et les filles subissent régulièrement des viols », énumère-t-il, la mine sombre, dans un salon de l’hôtel Palm Club d’Abidjan.
Libéré de la prison d’Aleg en mai, où il a été détenu dix-huit mois pour avoir mené une campagne de sensibilisation contre l’esclavage, Biram Abeid s’est tout de suite rendu à Dakar. Le Sénégal n’a pas été choisi au hasard : il a fait une partie de ses études dans ce pays frontalier de la Mauritanie, où de nombreux Mauritaniens y travaillent et où, surtout, des Négro-Mauritaniens se sont réfugiés. « Mon emprisonnement a entraîné désapprobation et solidarité partout. Sauf en Afrique », dit-il pour rappeler ce qui motive sa tournée sur le continent. Biram Abeid regrette que le soutien de la communauté internationale en sa faveur ne soit venu que de l’ambassadeur des Etats-Unis et des missions diplomatiques européennes. Mais le début de sa tournée le rend optimiste : plusieurs chefs d’Etat africains, dont il refuse de citer le nom, l’ont déjà contacté.
Descendant d’une famille d’esclaves

Son combat, Biram Abeid l’a dans le sang, étant lui-même un descendant d’esclaves de l’ethnie noire Haratine. « Mon père a été affranchi quand il était dans le ventre de sa mère. » Un geste de superstition des maîtres qui régnaient sur sa famille censé conjurer un mauvais sort. « Mon père, lui est né libre, mais sa mère est restée esclave jusqu’à sa mort. »
Les deux frères aînés de Biram ayant perdu la vue et ses sœurs étant interdites d’études supérieures, il sera le seul d’une fratrie d’onze enfants à être scolarisé. Suivant la volonté de son père, il étudie pour combattre l’esclavage. « Il m’a demandé de connaître les livres sacrés et les lois des “Blancs” pour pouvoir leur apporter la contradiction. » Il part donc étudier le droit et l’histoire au Sénégal, en Suisse et au Maroc, porté par cette mission. « Je devais avoir la force de penser le droit musulman mauritanien, se souvient-il. Un droit selon lequel l’esclavage est une chose sacrée. » Tous ses travaux d’étudiants traitent donc de cette question. « J’agis selon mon histoire, le fil conducteur de ma vie de damné de la terre, confie-t-il dans un soupir.

Après un passage à l’association SOS Esclaves, le militant fonde l’IRA en 2008. Son ONG est immédiatement interdite par le gouvernement de Mohammed Ould Abdelaziz et à peine tolérée depuis. Biram évoque les « centaines » de militants « violentés ou torturés » par le régime. En décembre 2010, il connaît sa première peine de prison pour « appartenance à une organisation non autorisée ». Il sera gracié au bout de trois mois.
En avril 2012, durant une manifestation à Nouakchott, il brûle en public des textes de droit de l’école malikite, l’une des écoles du droit musulman considérée comme encourageant la pratique de l’esclavage. Il est emprisonné avec d’autres militants de l’IRA et accusé de porter « atteinte à la sûreté de l’Etat ». L’ONG présente ses excuses pour l’incident, qui a choqué l’opinion et la presse du pays. Après plusieurs mois de détention préventive et l’annulation de leur procès pour vice de forme par la cour criminelle de Nouakchott, Biram Abeid et ses coaccusés sont libérés en septembre 2012.

Emprisonné à nouveau un an et demi plus tard, il est condamné à deux ans de prison en août 2015 pour « appartenance à une organisation non reconnue, rassemblement non autorisé, appel à rassemblement non autorisé et violence contre la force publique ». Il passera encore seize mois derrière les barreaux.
Fin 2013, Biram Abeid fait partie des six lauréats du Prix des droits de l’homme décerné tous les cinq ans par l’Organisation des Nations unies. Il se lance alors en politique et se présente en candidat libre à la présidentielle de 2014. Il obtient la deuxième place avec 9 % des voix.
Pays le plus touché au monde

L’esclavage reste répandu en Mauritanie et ce, malgré les déclarations de son président. Mohammed Ould Abdelaziz affirmait ainsi, en mai 2015, « l’esclavage n’existe plus dans le pays. Seules subsistent des séquelles de ce phénomène, que nous faisons tout pour traiter ». Mais le président de l’IRA considère encore la Mauritanie comme un régime « d’apartheid non écrit ». Une partie de la minorité arabo-berbère, les Maures, dont est issu le chef de l’Etat, y exploite encore des Haratines dans les quartiers chics des grandes villes. Selon un rapport de l’ONG Walk Free, publié en 2014, environ 4 % de la population mauritanienne, soit 150 000 personnes, subit l’esclavage moderne. C’est le pays le plus touché au monde aujourd’hui. Selon Biram Abeid, la réalité se rapproche plutôt des 20 %.

Face au phénomène, la législation a évolué ces dernières années. Une loi anti-esclavage a été votée en 2007 puis révisée en août 2015, qualifiant désormais l’esclavage de « crime contre l’humanité » réprimé par des peines allant jusqu’à vingt ans de prison. Pourtant, ces lois ne semblent pas appliquées. Depuis la promulgation de la loi, un seul maître d’esclaves a été arrêté et condamné à une sentence inférieure à celle requise par la loi. Biram Abeid dénonce : « Les criminels d’esclavage sont intouchables. Nous avons présenté des centaines de maîtres à la justice, sans parvenir à obtenir une condamnation. »

A l’inverse, les militants de l’IRA qui luttent contre l’esclavage sont, eux, bel et bien envoyés en prison. En août, encore treize membres de l’organisation ont été condamnés à des peines allant de trois à quinze ans de prison ferme pour « violences contre les forces de l’ordre » lors d’une manifestation. « Après mon appel de mai 2016 à Dakar, le gouvernement a lancé une nouvelle campagne de diabolisation contre l’IRA et contre moi. Nouakchott nous présente comme un “péril haratine contre les Blancs”, comme ils aiment s’appeler. Ils ne s’attendaient pas à ce que je me tourne vers l’Afrique à ma sortie de prison », lance Biram Abeid avec un accent de fierté contenue. Pour moi, il n’y a pas de compromis possible. C’est une lutte qui ne connaît pas de trêve. » Fort d’un solide soutien populaire, notamment au sein de la communauté haratine, il compte se présenter à nouveau à l’élection présidentielle en 2019.

Source : LeMonde.fr Afrique