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Contre l’envoi de soldats Senegalais en Arabie Saoudite

vendredi 8 mai 2015


Par : Adama Gaye, journaliste Sénégalais, spécialiste des relations internationales.

Il est hasardeux de vouloir analyser, à brûle-pourpoint, la décision prise par le Président du Sénégal, et soumise à l’Assemblée nationale, d’envoyer un contingent de 2100 soldats sénégalais pour voler au secours du Yémen, en jouant un rôle de tampon à sa frontière avec l’Arabie Saoudite, afin de prémunir celle-ci d’une menace terroriste qui proviendrait de son turbulent voisin.

Un premier constat s’impose : nos soldats sont envoyés, disent les autorités du pays, pour faire acte de solidarité islamique, au nom des normes internationales (ce qui reste à vérifier), en faveur de l’Arabie Saoudite. Question : au nom du parallélisme des formes, pourquoi, alors que depuis 1982 le Sénégal est confronté à une rébellion intérieure, en Casamance, ne s’est-il pas trouvé un seul soldat Saoudien pour venir nous protéger de la menace sécessionniste armée ? Qu’est-ce que, concrètement, aussi bien en termes de médiation internationale ou de soutien financier, ce pays a-t-il fait pour nous sortir de cet irrédentisme ? Peu, ou rien, disons-le !

L’envoi de nos soldats sur ce terrain particulièrement dangereux, volatil, est par ailleurs de ce type d’équipe qu’on engage, la fleur au fusil, sans jamais savoir ce qu’en seront les conséquences. Alors que notre pays peine à résoudre ses propres urgences, que l’armée a tant à faire pour assumer son rôle dans le génie militaire et à sécuriser le territoire national plus que jamais exposé aux multiples défis transnationaux, dont la menace terroriste régionale et les pandémies émergentes ne sont que des exemples parmi d’autres, comment peut-on se lancer dans une aventure aux antipodes ? Je ne trouve aucune explication rationnelle pour justifier ce plongeon, tête basse, dans ce qui est un bourbier, dans ce Moyen-Orient compliqué, selon le célèbre mot du Général De Gaulle. Commencer une guerre peut être facile mais en connaitre les conséquences est plutôt un exercice qui relève de la quadrature du cercle. Pourquoi un engagement aussi précipité ? Pourquoi devrions-nous être les preux sauveteurs et autres gardiens des lieux Saints de l’Islam ? Pourquoi ne sommes nous pas au Nord du Nigeria et en Somalie, pays ou l’islam est malmené par des hordes terroristes, afin de combattre ces versions tropicales de la bête immonde capable de déployer plus facilement ses tentacules, à partir de là-bas, chez nous ?

Les explications données pour justifier cette participation à la guerre me laissent sur ma faim. Surtout que nos soldats, qui ont eu à ce jour toutes les peines du monde à contenir une petite rébellion locale, vont devoir ferrailler dans un conflit aux confins particulièrement flous et divers impliquant aussi bien la géopolitique, le fondamentalisme religieux, les menées terroristes, les divisions ethniques ou encore les rivalités autour des ressources naturelles qui dépassent de loin le cadre du petit Yémen, et même celui de l’Arabie Saoudite qui invite notre pays dans cette pétaudière. Comment ne pas faire appel à l’histoire pour mesurer la gravité de la décision prise sans qu’elle soit débattue publiquement en dehors d’une séance d’explications à l’Assemblée nationale, presque à la hussarde, hier. N’oublions pas comment l’Armée Rouge Soviétique alors au faite de son pouvoir s’était enlisée en Afghanistan ou son entrée le 27 décembre 1979 pour y installer au pouvoir Babrak Karmal, l’homme-lige du Parti communiste Soviétique dans sa splendeur, s’était soldée par une déculottée des soldats soviétiques, ce qui fut le prélude au déclin de l’Empire éponyme. N’oublions pas non plus qu’en 2001 après les attentats du 11 septembre George Bush Junior n’avait pas mesuré les dangers de son intervention dans le même pays. Quelques années plus tard, l’Amérique s’est retrouvée sur-endettée, son armée contrainte de dialoguer avec les Talibans qu’elle croyait pouvoir défaire aisément et, désormais, se voit obligée, queue basse, de quitter l’Afghanistan, elle aussi !

C’est dire que l’intervention du Sénégal dans ce conflit Moyen-Oriental est dangereux, problématique et risque de mettre notre pays dans l’œil du cyclone. A-t-on pris le temps de la réflexion ? Mesure-t-on l’image de mercenaires qui pourrait coller à notre armée ? Les armées d’occupation ou d’intrusion ont rarement connu la réussite. Pire, demain, qui va faire face aux menaces des terroristes de cette région qui nous ont, à ce jour, épargnés, si jamais ils se hasardaient à nous cibler ? Que tirons-nous de cette intervention ? Au plus, si ça se confirme, nous en récolterions des pétrodollars. Encore qu’il n’est pas impossible, cependant, que nous nous retrouvions, à nouveau, black-boulés, par ces madrés Saoudiens. Surtout que le contexte s’y prête : à la lumière de la baisse vertigineuse des cours du pétrole, l’Arabie Saoudite, déjà légendaire pour son avarice, compte ses sous désormais. Nul ne devrait être étonné si elle nous laissait sur les carreaux après s’être servie de nous. Elle pourrait une fois de plus profiter de notre naïveté pour nous rouler dans la farine d’un discours islamique qui n’est brandi que lorsque cela lui sert. Qui a oublié à quel point les pays arabes avaient été chiches au lendemain du boycott d’Israël, après la Guerre du Kippour, en 1973, quand les pays africains, solidaires, ne purent rien tirer, ou presque, de leurs ‘frères’ arabes ? Qui n’a pas aussi en mémoire l’absence de générosité Saoudienne après la mort d’une centaine de nos soldats dans la première Guerre du Golfe quand certains d’entre eux furent tués dans un »accident » d’avion que pour ma part je considère plutôt comme la conséquence d’un feu ami ?

Je suis contre cette participation de notre pays à la guerre qui se passe au Yémen. Nous n’avons rien à y faire. Même si l’Arabie Saoudite devait financer tout le Programme Sénégal Émergent (PSE), au nom de notre dignité, nous ne devrions pas céder à cette sirène qui fleure bon la corruption à mille lieues. On pourra aussi douter de la légitimité de cette guerre. Dire qu’il s’agit d’une coalition internationale alors que seuls quelques pays y prennent part -serions nous le singleton africain du lot, sans validation de l’Union africaine ?- frise le ridicule. Les coalitions dites des volontaires (coalitions of the willing) sont un forcing pour contourner le consensus international qui est la bonne pratique à l’Organisation des Nations Unies. Et puis le principe d’une guerre dite juste est-il bien en place dans ce conflit ou serions nous simplement en face d’une situation où une monarchie en place depuis les années 1930, ayant perdu le parapluie sécuritaire d’une Amérique désormais proche de l’indépendance énergétique et non plus tenue par la promesse de Franklin Roosevelt au Roi Abdel Aziz, à son retour de Yalta, voit son trône vaciller est en réduite, moyennant rétribution financière et se servant de la caution des Lieux Saints, tente d’attirer dans son jeu des pays, comme le Sénégal, plombés par leurs propres difficultés financières ?

L’heure est donc grave. Comme en 2003, lorsque des foules entières en Grande Bretagne, aux Usa, par dizaines de millions, s’étaient levées pour dire leur opposition à la Guerre qui se préparait contre Saddam Hussein, dans le but de réaliser un changement de régime en Irak, malgré l’absence de preuves tangibles dans la recherche d’armes de destruction massives en possession du défunt dictateur Irakien, il importe que les Sénégalais qui ne se sentent pas concernés ou qui rejettent le principe de cette guerre, se lèvent, dans une sorte d’union sacrée, pour dire NON. L’envoi des soldats Sénégalais ne se fait pas en mon nom. #PasEnMonNom. Ce fut le même cri des ralliement des foules opposées à la guerre que George Bush Junior et l’ancien Premier Ministre Britannique Tony Blair allaient déclencher le 20 mars 2003. Ce cri doit être repris par quiconque, ici, se sent mal à l’aise avec cette décision prise par le Président du Sénégal. Se taire, c’est se rendre complice de ce qui demain pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour notre pays !

Il n’est pas tard, je l’espère, de s’arrêter, de tuer dans l’œuf ce projet. Sa mise à exécution serait gravissime.

Adama Gaye
Journaliste Sénégalais, spécialiste des relations internationales.
adamagaye@hotmail.com

Messages

  • AU NOM DE NOTRE DIGNITE

    ..."Même si l’Arabie Saoudite devait financer tout le Programme Sénégal Émergent (PSE), au nom de notre dignité, nous ne devrions pas céder à cette sirène qui fleure bon la corruption à mille lieues. "....

    La petite phrase a ete lachee ! C’elle qui se chuchotte dans les bas-fond dakarois et qui se retrouve sur toutes les levres ... au Marche SANDAGA : le Gorgui ne serait-il pas aussi maboul avant tout ?!!? La DIGNITE ne serait la parure que du NOBLE ?!!? La re-election, qui semblait assuree, serait devenue douteuse ?!!?

    Henri NGOBITO
    Washington DC
    USA