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Décryptage : que signifie la condamnation à mort du jeune Mauritanien coupable d’apostasie ?

mardi 30 décembre 2014


Le 24 décembre, un jeune Mauritanien a été condamné à mort pour apostasie, à Nouadhibou, dans le nord-ouest du pays, avant de faire appel deux jours plus tard. Cette décision inédite en Mauritanie a suscité de fortes critiques et surtout, beaucoup d’incompréhension. Décryptage.

Pourquoi la Mauritanie condamne-t-elle à mort pour apostasie ?

L’apostasie, qui consiste à renier sa religion ou à mettre en doute la parole du Prophète est inscrite dans le code pénal mauritanien. L’article 306 (alinéa 4) stipule que "toute personne coupable du crime d’apostasie ("zendagha") sera, à moins qu’elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort." Cette disposition a été invoquée par la Cour criminelle de Nouadhibou le 24 décembre, pour condamner à la peine capitale Mohamed Cheikh Ould Mohamed (dit Ould Mkheitir).

Âgé d’une trentaine d’années, ce jeune homme jusqu’ici anonyme est poursuivi pour un écrit dénoncé comme blasphématoire - une première dans le pays -, dans lequel il accuse la société de son pays de perpétuer un "ordre social inique hérité" de l’époque du Prophète. Bien qu’il se soit excusé, son repentir n’a pas été retenu en sa faveur, contrairement à ce que prévoit le Coran.

Le système judiciaire mauritanien est-il entièrement fondé sur la charia ?

Le quatrième volet du Code pénal mauritanien est entièrement consacré aux "attentats aux moeurs de l’Islam". Outre l’apostasie, sont ainsi punis l’hérésie, l’athéisme, le refus de prier ou l’adultère. Par exemple, l’article 308 condamne les homosexuels à la lapidation publique.
Reste que ces dispositions ne sont plus appliquées depuis longtemps. Mais le président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, semble désormais vouloir se poser en garant des valeurs islamiques.

Le 10 janvier dernier, au lendemain de l’arrestation de Ould Mohamed, il avait promis de "prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre l’islam et son Prophète", l’islam étant "au-dessus de tout, de la démocratie et de la liberté". Déjà en avril 2012, après l’arrestation de Biram Ould Dah Ould Abeid pour l’incinération de plusieurs ouvrages musulmans, "Aziz" avait assuré qu’il appliquerait la charia avec la plus grande sévérité. Le militant anti-esclavagiste avait finalement été libéré pour raisons de santé en septembre 2012, après plus de quatre mois de détention préventive.

L’apostasie est-elle punie dans d’autres pays africains ?

Outre la Mauritanie, seul le Soudan a inscrit l’apostasie dans son Code pénal. Son article 126 stipule que "celui qui commet le délit d’apostasie est invité à se repentir (…). S’il persiste dans son apostasie et n’a pas été récemment converti à l’islam, il sera puni de mort." En mai dernier, une chrétienne convertie a été condamnée à mort pour apostasie à Khartoum, avant que cette sentence ne soit annulée, suite à une forte mobilisation internationale.

Le Code pénal marocain punit seulement celui qui amène à apostasier et ne dit rien de l’apostat lui-même.

Et en 2012, Jabeur Mejri a écopé en Tunisie de sept ans et demi de prison pour avoir publié sur internet des caricatures du Prophète. Le Code pénal de son pays ne réprimant pas le blasphème, il a notamment été condamné pour trouble à l’ordre public. Il a été libéré en mars 2014.

Quelle a été la réaction des Mauritaniens à l’annonce de la peine de mort ?

L’arrestation en janvier dernier de Mohamed Cheikh Ould Mohamed avait été accueillie avec soulagement par les Mauritaniens, qui avaient exprimé leur colère dans les rues de Nouadhibou et de Nouakchott. Un homme d’affaires avait même mis publiquement la tête du jeune homme à prix. Selon plusieurs témoins, l’annonce du verdict a cette fois été accueillie sous quelques acclamations à Nouadhibou, mais personne n’a manifesté à Nouakchott.

Quelle est la suite à attendre du procès ?

Mohamed Cheikh Ould Mohamed devrait échapper à la peine de mort, son procès ayant surtout valeur d’exemple. Bien que la peine capitale n’a pas été abolie en Mauritanie, la dernière exécution remonte à 1987. Il s’agissait de trois officiers accusés de tentative de coup d’État contre Maaouiya Ould Taya. Ces dernières années, quelques condamnations à mort ont été prononcées pour assassinat ou terrorisme, mais elles ont par la suite été commuées en emprisonnement à perpétuité.

Source : Jeune Afrique