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Escale en Mauritanie / Banc d’Arguin
vendredi 11 octobre 2013
Comme beaucoup de plaisanciers, nous avons tout quitté pour voguer quelques temps au grès des vents et courants. Après avoir passé quelques années sur notre bateau aux Antilles, nous avons beaucoup fréquenté les « globe-flotteurs » et les pontons visiteurs des marinas. L’arrivée de notre petite Manon nous a donné envie de rentrer en métropole pour partager ce moment en famille mais aussi pour préparer un vrai voyage et découvrir ce que nous n’avions pas eu le temps de faire lorsque nous sommes partis aux Antilles : les côtes d’Afrique de l’ouest. Nous sommes donc partis sur notre Katanka, pour un grand voyage sans date de retour.
Après l’Espagne et le Portugal, nous faisons une halte au Maroc, où nous pensions déjà être presque seuls. Nous y rencontrons d’autres voyageurs comme nous, sympathisons, et finalement passons plus de temps entre nous qu’à nous plonger dans nos escales. Sans rendez-vous, nous retrouvons tout le monde aux Canaries, passons de très bons moments avec des gens très agréables mais ce n’est toujours pas comme cela que nous voulons voyager. Nous cherchons plus d’autenthicité, plus de « vrai » voyage, de dépaysement fort et de moments uniques. Nous décidons de sortir de l’autoroute des plaisanciers, cap sur la Mauritanie et son Banc d’Arguin.
A près quatre jours de mer, nous découvrons la baie de Nouadhibou et ses « bateaux fantômes », des épaves accumulées depuis des dizaines d’années. Il y en aurait près de 200. Leur démantélement est en cours. Certaines sont encore à flot mais d’autres n’affleurent qu’à marée-basse constituant un vrai danger pour le voilier de passage. L’arrivée de jour est indispensable. Nous mouillons devant le port de commerce et le poste de la marine nationale.
En escale « administrative », nous attendons notre autorisation pour naviguer dans le Parc National du Banc d’Arguin (PNBA) dont nous rêvons tant depuis que nous préparons ce voyage. L’accès en bateau est réglementé, l’usage du moteur formellement interdit et le permis de naviguer obligatoire. Nous obtiendrons notre sésame après quelques jours de visite à l’antenne du parc de Nouadhibou et de coups de téléphone à Nouakchott.
Le PNBA est une réserve naturelle de 12 000 km2 couvrant un tiers du littoral mauritanien. Créé en 1976 et inscrit depuis 1989 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est peuplé par les Imraguen, pêcheurs connus pour leurs pratiques de prélèvements raisonnés, notamment de mulets jaunes. Ils seraient aujourd’hui environ 1200. Depuis les années 1930, ils pêchent avec des lanches, voiliers importés par des Canariens. La diversité des paysages et le phénomène de remontée de courant froid ou « upwelling » en font un véritable garde-manger pour toute la chaîne alimentaire. Toutes sortes d’animaux se partagent le parc avec équilibre. C’est également dans ces eaux à une cinquantaine de kilomètres de côtes que s’échoua la Méduse en 1816. Son radeau fut rendu tristement célèbre par le tableau de Théodore Géricault.
Situé à mi-chemin entre les Canaries et le Cap-Vert, pourtant une grande route de plaisanciers, le PNBA n’est pratiquement jamais visité par la mer. Pas de cartes, pas de port, mauvaise réputation. Peu encourageant mais…
Il y a une solution pour découvrir le parc en toute sécurité. Des éco-guides Imraguen ont été formés récemment pour pouvoir emmener les touristes dans le parc. L’idée ne nous enchante pas vraiment. Nous voulions être autonomes et n’étions pas vraiment partis pour avoir à bord quelqu’un que nous ne connaissions pas. C’était sans savoir que notre guide serait Ahmed et que sans lui rien ne se serait passé comme cela. Ahmed est un Imraguen. Il est le seul habilité à guider des gens dans les eaux du parc. Si il accompagne régulièrement des touristes pour une promenade en lanche de quelques heures, nous serons les premiers plaisanciers à profiter de ses connaissances.
Prévenu par radio Ahmed nous rejoint à Nouadhibou. Nous quittons la baie, Cap sur l’île d’Arguin, au nord du parc. Le vent d’est ne permet pas une très bonne progression et en fin de journée nous sommes dans le parc. Le vent est tombé, le moteur est interdit. Nous mouillons ainsi au milieu de la baie du Lévrier sans voir la côte. Ahmed nous avoue qu’il n’a jamais regardé une carte marine ni même utilisé un sondeur. Il semble sûr de sa route et envoie Katanka à un mile au sud du Cap d’Arguin, puis cap vers la côte puis par « ici ».
– Par où ?
– Là, devant entre le cap et l’île.
– Mais où vois-tu un cap et une île ?
Effectivement, nous distingons deux hallos orangés formés par le vent de sable. Nos instruments ne nous servent plus à rien excepté le sondeur qui affiche 5 mètres de fond, jamais beaucoup plus. Sous génois seul pour plus de maniabilité et réduire un peu la vitesse en cas d’échouage, le bateau progresse sur une eau d’un vert émeraude presque face à un fort vent de sud-est. Des grands dauphins font un bout de route avec nous, Ahmed regarde devant, prépare le thé. Un peu à droite, un peu à gauche, après quelques remontées brutales du sondeur et d’apréhensions de toucher le fond, l’île d’Arguin, un grand banc de sable plus haut que les autres est sur notre babord. Le village d’Agadir, le seul de l’île se dessine. « On mouille ici » nous dit Ahmed.
Ahmed connaît tout le monde, on nous invite à boire le thé. Outre ses excellentes connaissances des chenaux, nous accédons grâce à lui à chaque individu. Nous découvrons notre premier village Imraguen. Le plus isolé aussi. Une vie insulaire au milieu du désert sans eau et sans végétation. Un sans-blanc de boutique propose quelques produits de base amenés en pirogue de la ville : mieux vaut ne pas compter faire son avitaillement sur place et remplir les cales de tout ce qu’il faut avant de venir ! A Agadir, Aboubakrim est éco-guide lui aussi. Mais sur son île, pas l’ombre d’un touriste. Quand bien même quelqu’un voudrait venir faire l’ermite quelques jours, il n’existe aucun moyen de joindre les îlens. Nous le suivons pour une petite visite des alentours du village, rien ne semble avoir bougé depuis des siècles tout comme en témoignent les vestiges des pêcheurs européens ayant passé quelques temps ici pour y exploiter les ressources de poisson.
Nous passerons trois jours ici, entre le thé et les rencontres, le temps passe vite. Nous continuons notre descente vers le sud en longeant la côte sur une trentaine de miles poussés par un bon vent de nord-est et mouillons devant le village d’Arkeiss haut lieu de pêche dans le parc. C’est le trajet jusqu’à Iwik qui demande le plus de rigueur. Sur la quinzaine de miles qui nous séparent encore du village, nous savons que nous n’avons pas le droit à l’erreur. Il n’y a aucun bateau moteur ni aucune structure pour nous venir en aide en cas d’échouage. Les courants sont forts, parfois traversiers et il faut toujours bien tenir compte de la dérive lorsque l’on prend un amer. Nous contournons une grande vasière avant de trouver les eaux profondes du chenal. Notre guide nous apprend à identifier les hauts-fonds et à se repérer dans cette zone si particulière.
A Iwik, Ahmed est attendu et lorsque Katanka pointe son étrave devant le village, c’est une véritable nuée d’enfants qui courrent sur la plage. Les femmes chantent et jouent des percussions dans la lumière rasante du soir. Nous mouillons avec l’intention d’y passer un moment. Sitôt le pied à terre, Ahmed nous présente sa femme Nadua, ses enfants, puis nous emmène chez lui dans sa « barag ». Les habitations sont toutes identiques. Des petites maisons en tôles plantées là, entre le désert et l’océan sans un arbre ni une flaque d’eau. Nous mangeons tous assis par terre autour d’un grand plat de riz et de viande d’un mouton tué pour notre arrivée. Une petite lampe à piles éclaire nos mains peu habituées à saisir directement la nourriture sans cuillère ni fourchette. Le repas terminé nous nous asseyons dehors, écoutant femmes et enfants qui ont repris leurs chants et contemplons le chapiteau d’étoiles au-dessus de nous. Le temps s’est arrêté.
Difficile de trouver un équilibre entre les populations, les ressources naturelles, les espèces protégées et le PNBA. Pourtant les villageois du parc ont tous conscience de la fragilité du milieu dans lequel ils vivent. Si ils pêchent de plus en plus pour assouvir les besoins de leurs familles, mangent de temps en temps une tortue prise dans leurs filets, ils respectent à la lettre les interdictions de débarquer sur les îles du parc et laissent la vie tranquille aux flamants roses de Naïr et aux gazelles de Tidra. Ils sont très attachés à leur patrimoine et font en sorte de le préserver au mieux. Nous sommes tentés par une balade en lanche dans les petits chenaux pour d’observer de près ces magnifiques animaux sans les déranger. Nous partons le matin, toujours avec Ahmed sur un des bateaux du village à travers le dédale de canaux qui au départ d’Iwik entourent les îles. Nous mouillons à peine un quart d’heure, le temps de pêcher quelques magnifiques daurades roses pour le repas du midi puis nous enfonçons entre les îles. Le soir, le vent tarde à venir et nous naviguons entre les haut-fonds dans le noir complet. Alors que n’importe quel navigateur « de chez nous » aurait arrêté son bateau, nos marins se repèrent sans instruments, pas même un compas et mènent leur embarcation à merveille. Les bruits ? Les étoiles ? Un sixième sens ? Nous restons bluffés. Il y a quelque chose d’unique ici, un équilibre entre l’homme et la nature et une population qui n’est pas (encore) corrompue par le touriste et ses gros sabots.
En quittant Iwik le cœur un peu serré, nous empruntons les chenaux sur une dizaine de miles pour mouiller au pied de l’île d’Arel. Nous arrivons à marée basse et avons tout le temps d’observer la mer envahir les vasières et faire envoler tous les oiseaux qui s’y nourissent. Tout ce monde vient se poser sur la petite île qui devient toute mouchetée de volatiles. Au petit matin, nous nous dirigeons donc vers Mamghar à une quarantaine de miles au sud, la « capitale » et porte du parc avec ses 400 habitants. Nous navigons juste à la limite extérieure du PNBA pour naviguer en « eaux-profondes » dans 4 mètres d’eau. Mamghar est dèjà différente. Des maisons en dur, des pirogues à moteur et plus vraiment la même relation avec les gens. Nous commençons a avoir l’impression d’avoir fait un bon tour ici. Cela fait déjà un mois que nous sommes dans le pays et c’est le moment de partir. L’esprit s’en va un peu plus au sud, on est plus vraiment là, on se regarde et on se dit : “on y va ?”
Nous avons bien du mal à comprendre pourquoi la Mauritanie est ignorée à ce point par tous nos homologues voyageant sur les océans. Les voiliers s’étant arrêté ici depuis 20 ans se comptent sur les doigts d’une seule main alors que l’endroit est magique. Bien dommage pour tout le monde sauf pour nous très heureux d’être allés quelque part ou (presque) personne ne va.
Pratique
– Formalités :
– Visas à demander en France ou à Rabat au Maroc (50€ pour deux mois).
– Entrée à Nouadhibou au port de commerce puis à la douane.
– Contacts pour le permis de naviguer
– Parc National du Banc d’Arguin :http://www.pnba.mr/pnba/ secretariat.pnba@yahoo.fr
– Fondation Internationale du Banc d’Arguin www.lafiba.org fiba@lafiba.org
– Association des Amis du Banc d’Arguin iwikvacance@voila.fr +222 44 03 11 34
– Argent : Ouguiya (UM) 1€=400UM. Pas de distributeurs de billets à Nouadhibou, prévoir des euros à changer.
– Services :
Possibilité de faire de l’eau au quai de de la Guardia Civil. Pas de ponton mais des docks flottants qui peuvent permettre une sortie d’eau à bon prix.
– Avitaillement : superettes vendant des produits importés et chers à Nouadhibou. Pratiquement rien dans le parc.
– Téléphone : Bonne couverture GSM à Nouadhibou. Rien dans le parc.
– Sécurité : Souci incroyable de tous les mauritaniens d’encadrer les étrangers. Ne pas sortir le soir à Nouadhibou et faire garder le bateau si l’on doit s’absenter la nuit. Absolument aucun problème dans le parc ou tout peut rester ouvert et l’annexe sur la plage.
Météo : Régime assez constant de vents de nord est le matin autour de 20nds, virant est puis légérement sud est en fin de journée. Très faible brise d’ouest la nuit. Températures chaudes en journée et très fraiches la nuit. Garder les couettes à bord ! Eau à 14°C et baignades déconseillées à cause des requins…
Katanka, JNF 38
- Longeur HT : 12m07, Largeur : 3m80, Tirant d’eau : 1,10m – 2,50m, poids en charge 12TGrand-voile : 33m2, Genois : 54m2, Moteur : Perkins 4108 50cv , Gasoil : 300l, Eau : 500l, Matériau :Acier, Architecte Joubert/Nivelt
Source : STW.FR