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L’affaire du blogueur apostat agite la Mauritanie

mardi 20 décembre 2016


La Cour suprême a reporté, sine die, son verdict dans l’affaire d’apostasie du jeune blogueur condamné à mort en 2015.

La Cour suprême de Mauritanie a reporté, sine die, ce mardi, son verdict en cassation concernant la condamnation à mort pour blasphème d’un blogueur mauritanien de 29 ans. Dès le matin, la police antiémeute avait bouclé la zone de la Cour suprême à Nouakchott. Cela n’a cependant pas empêché l’afflux de milliers de manifestants qui réclamaient l’exécution du jeune homme. Cette affaire avait été jugée une première fois en 2015 et, l’an dernier, un arrêt de la Cour d’appel avait requalifié les faits, ne reprochant plus au blogueur que des écrits apostats. Cette accusation moins grave n’a cependant pas calmé les plus extrémistes, qui veulent toujours la peau du jeune homme. Lundi, un poète très religieux du pays affirmait même qu’il « logerait une balle dans la tête » du blogueur « s’il était libéré ».

Harcelés et menacés de mort, le père du jeune homme, un ancien fonctionnaire, et sa femme ont dû fuir la Mauritanie. De peur des représailles, ses avocats successifs, tous commis d’office, ont dû renoncer à le défendre. Et l’accusé, placé en détention depuis 2014, se retrouvait sans défense. Malgré la campagne de lynchage intense sur Internet, un avocat marabout, Me Mohamed Ould Moïne, décidait, lui, de défendre le jeune accusé.

Dans un texte que nous nous sommes procuré, l’homme de loi argumente. Il note que l’accusé avait annoncé son repentir alors qu’il était encore libre et qu’il avait reçu du procureur un coran pour le lire en prison, ce qui exclut de fait toute « mécréance ». Le défenseur s’étonne également de l’absence de débat des « savants » de toutes opinions sur le texte incriminé. Il termine en relevant qu’en quinze siècles, seules trois condamnations à mort ont été prononcées pour apostat. Et que pour un apostat « pacifique », la charia ne préconise que le repentir. En outre, les condamnations à la peine capitale ou à la flagellation ne sont plus exécutées depuis près de trente ans en Mauritanie, pays qui a par ailleurs signé des textes internationaux bannissant la peine de mort.

Pour la défense du blogueur, les proportions prises par cette affaire tiennent surtout à l’instrumentalisation politique qui en a été faite. « Il semble que la libération de cet individu dérange quelques personnalités influentes », écrit l’avocat, en parlant de « surenchère ». Le jour de l’interpellation de l’auteur du texte incriminé, le président mauritanien, Mohamed Abdel Aziz, s’était fait le garant de la défense de l’islam et avait remercié la foule massée devant son palais d’avoir manifesté.

Au contraire de la vindicte populaire, l’avocat demandait, au nom de la justice islamique, la libération du blogueur, qui a déjà fait près de deux ans de prison. Olivier Bot

Source : "24 heures" (Suisse)