Accueil > Actualités > A la Une > Le Sahel au bord de l’implosion ?

Le Sahel au bord de l’implosion ?

mardi 1er novembre 2011


TINDOUF (© 2011 Afriquinfos) - Réveil de l’irrédentisme touareg, implantation de groupes terroristes équipés d’armes sophistiquées, présence de brigades surarmées rentrées de Libye, trafics d’armes et de stupéfiants, désertions dans l’armée, acheminement de renforts et de matériel militaire vers le Nord, kidnappings, braquages...Enquête sur le mouvement qui vient de revendiquer l’enlèvement de deux Espagnols, un homme et une femme, et d’une Italienne dans les camps de réfugiés sahraouis d’Algérie, le 23 octobre dernier.

Les trois provinces septentrionales du Mali et, au-delà, toute la bande sahélo-saharienne qui va de la Mauritanie au Soudan sont en passe de devenir une auberge espagnole où sont désormais réunis les ingrédients d’un conflit majeur. Avec, en maître de céans et distributeur de rôles, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), un groupe terroriste qui tient tête aux Etats sahéliens, aux Américains et aux Français depuis une dizaine d’années.

En février/mars 2003, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) enlève une vingtaine d’otages européens dans le sud de l’Algérie, qui partage plus de 1700 kilomètres de frontière avec le Mali. L’armée algérienne intervient et délivre une partie des otages.

Les ravisseurs se réfugient au Mali avec le reste des otages. Les pays d’origine des otages – Allemagne, Autriche, Suisse, notamment - demandent officiellement au Mali d’éviter d’utiliser « manière forte » contre les terroristes.

Le Mali accepte de jouer les médiateurs. Les otages européens seront finalement libérés en août 2003.

Depuis, la plupart des otages enlevés dans la bande sahélo-saharienne (Mauritanie, Algérie, Mali, Niger, Tchad), mais aussi en Tunisie et, récemment, au Sahara Occidental, ont été transférés, à un moment ou à un autre, dans le désert malien par leurs ravisseurs dont le mouvement s’est rebaptisé, en janvier 2007, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

L’absence d’Etat, le délitement du tissu social et les trafics en tous genres dans une zone où l’on peut faire plusieurs centaines de kilomètres sans rencontrer âme qui vive font du désert malien un sanctuaire rêvé pour Aqmi.

Aqmi aligne en tout et pour tout 300 à 400 hommes extrêmement mobiles dans la bande sahélienne. Les Algériens et les Mauritaniens forment le gros de la troupe. A ceux-là, sont venus s’ajouter ces derniers mois des Nigériens, des Ghanéens, des Sénégalais, des Togolais, des Gambiens et des Burkinabè, pour la plupart d’ex-candidats à l’émigration clandestine refoulés aux portes de l’Europe, attirés, pour ce qui concerne ces derniers, par l’appât du gain.

De fait, Aqmi est devenu rapidement une association interlope regroupant des islamistes, des trafiquants de drogue et d’armes, des contrebandiers, des passeurs véreux, des indicateurs et des intermédiaires âpres au gain. L’organisation bénéficie parfois de la bienveillance, sinon de la complicité, d’une partie de la population malienne qui n’hésite pas à enlever des otages dans le but de les céder contre espèces sonnantes et trébuchantes à Aqmi. Le premier souci de beaucoup de ces preneurs d’otages est moins la religion que l’argent.

Les otages sont généralement détenus dans des grottes difficiles d’accès et situées dans un rayonnement de 300 kilomètres autour des villes comme Gao, Tombouctou et Kidal.

Dans la bande sahélo-saharienne, quatre principaux chefs semblent assurer le monitoring des rapts d’Occidentaux.

1 - Abid Hammadou, dit Abou Zeid, né le 12 décembre 1965 à Touggourt, dans la Wilaya de Ouargla, en Algérie. C’est le plus radical de tous. Le plus féroce aussi. C’est son groupe qui a détenu et exécuté l’otage britannique. C’est également lui qui a « racheté » le Français Pierre Camatte enlevé le 26 novembre 2009 à Ménaka, avant de le libérer, le 23 février 2010, grâce à la médiation d’un notable de la région de Gao, après paiement, semble-t-il, d’une rançon de plusieurs millions d’euros.

2 - Yahia Djouadi alias Abou Yaya Hamane, né le 1er janvier 1967 à M’Hamid, dans la Wilaya de Sidi Bel Abbes, en Algérie.

3 - Mokhtar Belmokhtar, alias le borgne, né le 1er juin 1972 à Ghardaia, en Algérie. A lui seul, il a plus d’une trentaine de pseudonymes. C’est aussi un homme d’affaires avisé. Il est marié à une fille de la région de Tombouctou, où il compte des alliés aussi discrets que sûrs.

4 - Taleb Abdoulkrim : Surnom de guerre d’un Touareg de la région de Kidal (nord-ouest du Mali), c’est lui qui, le 21 avril 2010, a enlevé un ethnologue français de 78 ans au Niger et son chauffeur algérien (ce dernier a été relâché peu après). Il a longtemps été le prédicateur de la mosquée de Inhallil, localité située à la frontière Mali-Algérie.

Les trois premiers nommés sont de nationalité algérienne. Abdoulkrim est, lui, malien.

Tous les quatre reçoivent directement leurs instructions « politiques » d’un mystérieux émir installé en territoire algérien et connu sous le nom de Abdelmalek Droukdel, alias Abou Moussaab Abdelwadoud, né le 20 avril 1970 à Meftah, dans la Wilaya de Blida, en Algérie. C’est ce dernier qui ordonne les enlèvements d’otages, fixe le montant et les conditions de leur libération. Et c’est l’un des thuriféraires de ce chef suprême, un certain Salah Gasmi, 39 ans, responsable de la propagande d’Aqmi, qui donne le feu vert avant la diffusion sur les sites web islamistes des revendications d’enlèvement, des « preuves » matérielles selon lesquelles les otages sont en vie, ou des communiqués de presse.

De l’enlèvement de l’otage à la revendication du rapt, il peut se passer deux à trois semaines, à cause des multiples précautions que prennent les ravisseurs et de la lenteur dans la prise de décision au sein de la hiérarchie d’Aqmi.

Quelle place occupe le Mali dans ce jeu d’ombres et d’intrigues ? Dans quelles conditions les otages occidentaux sont-ils bien souvent libérés ? Les pays de la bande sahélienne ont-ils une politique commune de lutte contre le terrorisme ?

Sur le premier point, les faits semblent le confirmer : le Mali sert à la fois de lieu de transit, de terre de négociation et de dénouement des prises d’otages, mais aussi, depuis peu, de base permanente pour Aqmi. Et, comme s’il lui fallait respecter une forme d’accord non écrit de neutralité avec Bamako, Aqmi n’a jamais pris d’otage sur le territoire malien, à l’exception notable du Français Pierre Camate, enlevé à Ménaka le 26 novembre 2009 par des Maliens, revendu à Aqmi, puis libéré, contre rançon, le 23 février 2010.

Dans quelles conditions les otages retrouvent-ils la liberté ? En dépit des dénégations réitérées des capitales occidentales, tous les otages libérés jusque-là l’ont été au terme d’âpres négociations suivies d’une transaction financière. Le paiement de rançons a d’ailleurs été confirmé par des journaux suisses, autrichiens et canadiens, évoquant les cas de leurs ressortissants respectifs libérés en 2003 par Aqmi.

Dernier point, et non des moindres : les solutions pour venir à bout du « péril terroriste » varient d’un pays à l’autre. Le Niger et le Tchad militent pour la méthode musclée. Conséquence : Aqmi opère dans ces deux pays juste le temps de kidnapper des otages qu’ils se dépêchent de ramener en territoire malien, jugé moins dangereux, pour ne pas dire plus bienveillant.

Le Burkina fait la concurrence au Mali sur le ton « on va voir qui, le premier, réussira à faire libérer les otages ». Dans ce dossier, le président burkinabè s’est entouré d’hommes connaissant bien la bande sahélo-saharienne et veillant à ce que les rançons et les otages libérés transitent par Ouagadougou.

Contre Aqmi, le Mali applique pour sa part la bonne vieille recette : « Si tu n’as pas les moyens de ta politique, il faut faire la politique de tes moyens. » Persuadé de l’impossibilité de vaincre, tout seul, l’ennemi, le Mali milite pour que tous les pays de la zone sahélo-saharienne lèvent une armée transnationale pour lutter efficacement contre Aqmi. Cette armée interviendrait de façon concertée dans l’ensemble des pays concernés.

La thèse malienne est combattue par l’Algérie et la Mauritanie qui souhaitent que chacun s’occupe avec fermeté d’Aqmi sur son territoire propre, quitte à bénéficier d’une assistance logistique des autres.

Première touchée par les attentats, l’Algérie est, évidemment, au cœur du dispositif anti-Aqmi. Elle rejette toute immixtion des pays occidentaux dans ce combat-là, s’oppose à toute transaction financière avec les preneurs d’otages. A en croire le président algérien Abdelaziz Bouteflika s’exprimant en septembre 2009 à la tribune des Nations Unies, à New York, « le produit de ces rançons est devenu la principale source de financement du terrorisme. »

L’Algérie a pesé de tout son poids pour amener ses voisins sahéliens à créer à Tamanrasset une structure intégrée des états-majors de leur armée respective, baptisée Cemoc. Objectif : coordonner la stratégie anti-terroriste pour venir à bout d’Aqmi.

La Mauritanie, elle, prône une lutte sans concessions, avec, au besoin, le concours des Américains et des Français, surtout en matière de renseignement, d’équipements de communication et d’interception. Elle s’oppose, elle aussi, aux transactions financières, comme à la politique de troc (otages contre combattants d’Aqmi emprisonnés).

Les divergences de vue entre la Mauritanie et le Mali ont longtemps contribué à compliquer la situation et à retarder la mise en place d’un plan concerté anti-Aqmi. Longtemps, Nouakchott n’a pas pardonné à Bamako d’avoir, à la demande insistante de Paris, ouvert une brèche dans l’union sacrée sahélo-saharienne contre le terrorisme, en élargissant quatre membres d’Aqmi en échange de la libération de l’otage français Pierre Camatte.

Tout semble maintenant rentré dans l’ordre et les deux gouvernements marchent à l’unisson dans le combat contre le terrorisme. Nouakchott exerce depuis plus d’un an le droit de poursuite contre les colonnes d’Aqmi. Elle intervient même « à titre préventif » et quand bon lui semble en territoire malien pour, dit-elle, « étouffer dans l’œuf » les attentats terroristes. Sans pour autant parvenir, jusque-là, à écraser l’hydre terroriste.

Par Francis Kpatindé