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Mali, l’intervention difficile

lundi 9 juillet 2012


Par Patrick Gonin, géographe et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris

Pendant que des pourparlers se poursuivent à l’ONU, le Mali continue de s’enfoncer dans une crise sans fin qui ne dit pas son véritable nom, entre guerre civile et coup d’Etat militaire inachevé, avec une partition de facto du territoire, une montée en puissance des groupes islamistes armés et l’écroulement des institutions démocratiques à Bamako. Pour l’instant, les spécialistes conviennent généralement qu’une reconquête de l’Azawad sécessionniste n’est pas envisageable dans le nord. Repliée sur Bamako, l’armée malienne n’est plus vraiment opérationnelle, et le recours à des milices progouvernementales ne paraît pas non plus probant du fait de leur expulsion de la région. En outre, il existe un certain consensus parmi les pays occidentaux pour penser qu’une résolution des problèmes du Nord saharien passe d’abord par le Sud sahélien. Les désaccords portent en revanche sur les moyens à mettre en oeuvre en vue de rétablir un Etat de droit et un gouvernement civil à Bamako.

Les liens historiques entre la France et son ancienne colonie du Soudan pourraient laisser croire à cet égard que Paris aurait un rôle militaire à jouer. Or rien n’est moins évident. En effet, le nationalisme des Maliens s’est largement construit contre une ancienne puissance coloniale qui a beaucoup perdu de son pouvoir d’attraction. En témoignent les graffitis des murs de Bamako qui proclament : "La France dehors" !

Les griefs sont nombreux et portent notamment sur les expulsions à répétition de migrants clandestins depuis l’affaire des "101 Maliens", renvoyés en 1986 dans un charter affrété par Charles Pasqua, à l’époque ministre de l’intérieur. La présidence de Nicolas Sarkozy n’a évidemment pas calmé le jeu. A la différence du Sénégal, le Mali est ainsi un des derniers pays de la région à avoir refusé de signer avec Paris un accord de réadmission des sans-papiers.

Les relations avec la France étaient donc déjà tendues avant le renversement du président "ATT" (Amadou Toumani Touré) par les mutins du capitaine Amadou Sanogo en mars. Depuis lors, Paris continue de faire l’objet de nombreuses spéculations "conspirationnistes". A Bamako, certains accusent la France d’avoir facilité la chute du président sortant parce que celui-ci avait refusé de s’engager plus avant dans la lutte contre le terrorisme, les trafics de drogue et l’émigration clandestine. Sans craindre la contradiction, d’autres soupçonnent au contraire l’Elysée de vouloir réinstaller au pouvoir des proches d’ATT en soutenant la formation d’une garde présidentielle susceptible d’aller combattre les islamistes en pays touareg. A en croire les théoriciens du complot, les services secrets français chercheraient notamment à armer le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad) pour lutter contre Ansar Eddine et AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique).

Peu importe alors que ces allégations soient vraies ou non. Force est d’admettre qu’à Bamako la France n’est pas perçue comme un médiateur impartial. On lui reproche aussi d’être partiellement responsable de la crise, du fait de son intervention militaire en Libye, qui a précipité le retour au Mali de nombreux combattants touareg armés par Mouammar Kadhafi. Frustrés et incapables de prévenir la partition de leur pays, les nationalistes maliens ne sont certainement pas les derniers à vilipender les manoeuvres de l’ancienne puissance coloniale.

En d’autres termes, une intervention de l’armée française à Bamako aurait toutes les chances de se heurter à des formes de résistance populaire qui compromettraient la résolution du conflit.

Reste alors à s’interroger sur l’éventualité d’une opération de la paix onusienne. Les réticences viennent cette fois du Conseil de sécurité de l’ONU. De fait, la situation malienne ne menace pas la paix mondiale au sens où l’entend le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui peut exceptionnellement autoriser à contourner les souverainetés nationales pour envoyer des casques bleus rétablir l’ordre constitutionnel et empêcher l’extension d’un conflit. Comparée à la Syrie, la crise humanitaire n’est pas non plus telle que l’on puisse invoquer le fameux principe de la responsabilité de protéger, la R2P (Responsibility To Protect). Objet d’une résolution votée à l’ONU en 2009, celle-ci permet théoriquement à la communauté internationale de pallier les défaillances d’Etats incapables de prendre en charge leur propre population. Avant d’en arriver à une solution militaire, encore faut-il que des massacres soient imminents et que les recours à la négociation diplomatique ou aux sanctions économiques aient tous été épuisés. Ce n’est assurément pas le cas au Mali aujourd’hui.

De plus, les instances onusiennes préfèrent souvent privilégier des solutions locales, en l’occurrence africaines. A présent, les regards se tournent donc davantage vers la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Basée à Abuja au Nigeria, celle-ci a déjà conduit des opérations de la paix au Liberia et en Sierra Leone au cours des années 1990. Depuis, elle a également prévu de se doter d’une force d’interposition permanente, qui devait être mise sur pied en 2015. Le problème est que son dispositif de formation continue n’a jamais fait ses preuves. En principe, des enseignements stratégiques, tactiques et opérationnels devaient être respectivement dispensés au Nigeria, au Mali et au Ghana, où un Centre Kofi Annan a été ouvert à Accra en 2003. Mais l’école de maintien de la paix de Bamako n’est évidemment plus en mesure de fonctionner. Son directeur, le colonel Moussa Sinko Coulibaly, a d’ailleurs participé au coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo, ce qui augure mal des résultats des formations destinées à démocratiser les troupes africaines !

On s’interroge également sur la capacité des armées de la région à sécuriser le retour au pouvoir d’un gouvernement civil à Bamako. Parce qu’il est le pays le plus peuplé du continent, le Nigeria anglophone dispose des plus gros effectifs militaires d’Afrique de l’Ouest et fait figure de candidat "naturel". Dans le passé, il a déjà participé à de nombreuses opérations pour le rétablissement de la paix et comptait parmi les principaux pays qui fournissaient des casques bleus aux Nations Unies. Aujourd’hui engagé au Darfour pour le compte de l’Union africaine, le Nigeria a également encadré et commandé les interventions militaires de la Cédéao pour mettre un terme aux guerres civiles qui ont ravagé le Liberia et la Sierra Leone dans les années 1990. Ces précédents n’ont cependant pas toujours été très heureux.

Au Liberia, par exemple, l’armée nigériane a largement participé au pillage du pays. En outre, elle a monté et financé des milices locales pour faire la guerre par procuration et éviter d’engager ses propres troupes au combat. En empêchant l’arrivée au pouvoir de Charles Taylor en 1990, elle a retardé d’autant la résolution du conflit... qui s’est conclu par l’élection dudit Charles Taylor en 1997. A l’intérieur même du Nigeria, l’armée s’est par ailleurs rendue responsable de plusieurs massacres à Odi, dans le delta du Niger en 1999, dans des villages de la Middle Belt en 2001 et, encore récemment, dans le Borno en 2009, pour n’en citer que quelques-uns. Ses "bavures" sont si systématiques qu’elles posent crûment la question de la capacité des militaires nigérians à intervenir dans des opérations de paix.

La difficulté est que les alternatives locales ne sont pas légion. Alors que la Côte d’Ivoire se remet à peine de sa guerre civile, le Burkina Faso francophone apparaît comme un des derniers pays stables de la région, et son président, Blaise Compaoré, a été nommé médiateur de la Cédéao au Mali. L’armée burkinabé n’a cependant pas les moyens de rétablir l’ordre constitutionnel à Bamako. Arrivé au pouvoir en 1983 par un coup d’Etat confirmé en 1987, le président Blaise Compaoré essaie d’utiliser sa position diplomatique pour s’acheter une nouvelle légitimité sur la scène internationale. Mais il n’est pas forcément le mieux placé pour résoudre la crise gouvernementale à Bamako. En effet, un conflit frontalier a déjà opposé les armées burkinabé et malienne en 1985. En guise de gardien de paix, le président Blaise Compaoré a, quant à lui, attisé la guerre au Liberia en soutenant et en armant la faction de Charles Taylor.

Ainsi, les atermoiements de la Cédéao et l’attentisme de la communauté internationale laissent présager une solution a minima. Pour rétablir l’ordre constitutionnel au Mali, il est possible que les pays occidentaux se contentent de contracter et de rémunérer une compagnie privée afin de sécuriser le retour à Bamako du président par intérim Dioncounda Traoré, en exil depuis qu’il a été agressé dans son bureau par une foule en colère et vraisemblablement manipulée par les mutins. L’objectif initial serait de consolider l’assise d’un gouvernement civil et d’écarter définitivement la menace du camp de Kati, où continuent de sévir les hommes du capitaine Amadou Sanogo. Dans un deuxième temps serait alors envisagée la reconquête politique du Nord saharien, reconquête qui ne pourra se faire sans une implication forte de l’Algérie et de la Libye, et pas seulement de la Mauritanie, du Burkina Faso ou du Niger.

D’ores et déjà, il paraît très peu probable que les Maliens puissent revenir au statu quo ante. A défaut d’une indépendance de l’Azawad qui ne serait reconnue par personne, et surtout pas par les pays voisins, une forme d’autonomie régionale devra sans doute être négociée en vue de construire un nouveau contrat social et national. A l’heure où les combattants du MNLA sont en déroute, c’est peut-être paradoxalement l’intransigeance des islamistes qui permettra au gouvernement malien de regagner "les coeurs et les esprits" des Touareg en les convainquant que le pouvoir éloigné de Bamako vaut mieux que la dictature de proximité des fous de Dieu.

Patrick Gonin, géographe et Marc-Antoine Pérouse de Montclos, enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris

Géographe, chercheur à l’université de Poitiers, Patrick Gonin s’intéresse aux migrations internationales, en particulier à l’espace migratoire franco-malien. Il a, entre autres, coordonné le numéro d’"Hommes & migrations" sur les "Migrations subsahariennes" (2010) et publié un article avec Nathalie Kotlok sur "Migrations et pauvreté : essai sur la situation malienne" (Ceriscope.sciences-po, 2012)

Marc-Antoine Pérouse de Montclos est spécialiste des conflits armés en Afrique subsaharienne et chargé de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Il est l’auteur, entre autres, d’"Etats faibles et sécurité privée en Afrique noire" (L’Harmattan, 2008).

Source : LeMonde.fr