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Mauritanie 2014 : des élections présidentielles si discrètes...

lundi 7 juillet 2014


Par Jean-Pierre Bat et Vincent Hiribarren

Fin juin 2014, les élections présidentielles se sont tenues en Mauritanie. Le général Mohamed Ould abdel Aziz, parvenu au pouvoir par un coup d’État, en 2008, puis élu en 2009, était candidat à sa propre réélection. Il a remporté une large victoire avec 81,89 % des voix. Toutefois, l’opposition avait appelé au boycott et le taux de participation a été limité à 54 % (contre 64 % en 2009). Retour sur la société politique mauritanienne à la lumière de ce scrutin.

Questions à Cheikhna Wagué, docteur en histoire de l’université Paris-I Panthéon Sorbonne, chercheur affilié à l’Institut des mondes africains (IMAF) et auteur de plusieurs travaux sur les migrations ouest africaines et sur les minorités nationales.

Pourquoi la Mauritanie a-t-elle adopté en 1960, à l’indépendance,
le titre officiel de « République islamique de Mauritanie » ?

Quelle place occupe la religion dans l’Etat et dans la société ?
L’Islam est le dénominateur commun à tous les Mauritaniens sans distinction. Qu’ils soient Soninkés, Arabo-berbères, Haratines, Peuls, Wolofs ou Bambara, ils sont tous musulmans. C’est l’un des rares pays de l’Afrique de l’Ouest dont toute la population est musulmane. Contrairement à ses voisins comme les Mali, le Sénégal, le Maroc, l’Algérie… où l’on trouve des gens de plusieurs confessions religieuses, la Mauritanie, a une population homogène d’un point de vue religieux, même s’il existe des différence dans les rites selon qu’on appartient à telle ou telle autre confrérie. L’adhésion de tous les Mauritaniens à l’Islam explique le choix à l’indépendance en 1960 le titre officiel de : « République islamique de Mauritanie ». Tous les Mauritaniens, qu’ils soient arabo-berbères ou noirs, semblent s’accommoder de ce titre. C’est dire que ce choix tient compte de ce qui lie tous les mauritaniens : l’Islam.

Quelles sont les principales évolutions de la vie politique mauritanienne depuis les élections de 2007 ?
Les évolutions sont mitigées. En 2007 des élections démocratiques venaient d’avoir lieu et avaient porté à la tête du pays Sidi Ould Abdallah. Elles étaient les premières élections qui semblaient se dérouler dans les règles de l’art. En tout cas, elles ne semblaient pas faire l’objet des contestations particulières comparativement aux autres élections que la Mauritanie a connues depuis 1992. Sidi Ould Abdallah, le vainqueur de cette élection, avait commencé à mettre en place des actes forts pour l’unité nationale : la question des réfugiés, la révision en profondeur de l’éducation nationale, l’économie, etc. Malheureusement, il n’aura pas l’occasion de finir son mandat ; il a été renversé le 6 août 2008 à la suite d’un coup d’État militaire mené par le général Mohamed Ould Abdel Aziz.

Depuis cette date, la Mauritanie est dirigée de nouveau par un militaire. Il est important de souligner que le général Mohamed Ould Abdel Aziz faisait partie des proches collaborateurs de l’ancien président Maouya Ould Sidi Ahmed Taya et est également un des meneurs du coup d’État qui l’a renversé en 2005. Ould Abdel Aziz est donc au pouvoir depuis 2008 à la faveur d’un coup d’État militaire et d’élections contestées. Il a engagé des reformes telles que l’organisation du retour des réfugiés, le règlement du passif humanitaire, mais les résultats sont toujours mitigés, voire contestés. La récente marche des réfugiés de retour depuis la vallée (Boghé), abandonnés à leur propre sort, en dit long sur le fait qu’en ce qui concerne les dossiers de la cohabitation nationale, des réfugiés, des victimes civiles des événements 1989, ses multiples engagements ne sont pas encore aboutis à des résultats escomptés, tant les contestations sont nombreuses aussi bien à l’intérieur qu’en dehors du pays.

Dans quel climat les élections de juin 2014 se sont-elles déroulées ?
Dans un climat politique, social, économique et religieux tendu. Sur le plan politique, nombreux sont les partis politiques qui ont boycotté ces élections, en estimant que toutes les conditions n’ont pas été réunies pour des élections libres, transparentes et démocratiques. Pour eux les résultats étaient connus d’avance, au regard des moyens de l’Etat mobilisés pour et par le seul candidat qu’est Ould Abdel Aziz.

D’un point de vue social, la crise a atteint son summum, car la lancinante question de l’esclavage est toujours sur le tapis, ce qui a d’ailleurs conduit, entre autres, à des événements inhabituels dans ce pays musulman. Une partie d’un livre de la jurisprudence malékite a ainsi été brûlé publiquement, qu’un jeune forgeron affirme que l’Islam est une religion discriminante. Ces deux exemples parmi tant d’autres montrent que la société mauritanienne traverse une crise sociale doublée d’une crise religieuse sans précédent. Même la lecture que l’on a de l’Islam ne fait plus l’unanimité et du coup cela conduit à des situations peu habituelles dans ce pays. La pression djihadiste et la crise au Mali ne sont pas de nature à apaiser ces tensions sociales et religieuses. Même si Aziz a réussi, pour le moment, à éviter à la Mauritanie ce qui est arrivé au Mali.

À cette série de crises sociales que connaît actuellement la Mauritanie, il faut verser un autre dossier non moins litigieux. Il s’agit de la question du recensement, que l’on appelle « enrôlement » dans le jargon national. En effet, dans le cadre de la sécurisation de l’état civil mauritanien et de la lutte contre le terrorisme, l’État mauritanien, soutenu par l’Union Européenne, a décidé depuis 2012 de recenser toute sa population. À ce titre, il a invalidé tous les autres documents d’état civil (passeport, carte d’identité nationale, etc.) qui ne s’appuient pas sur le recensement en cours. Du coup, nombreux sont les Mauritaniens qui sont devenus des apatrides dans leur propre pays ou clandestins dans d’autres pays comme la France. Les Noirs mauritaniens de culture et de langue non arabes (Peuls, Soninkés, Wolofs, Bambaras), se sentant visés par ces mesures discriminatoires et soutenus par des organismes de droit de l’Homme, se sont constitués en groupes pour contester ce recensement. Le mouvement « Touche pas à ma nationalité » notamment se bat sur le terrain. Dans le cadre de la diaspora, les manifestations sont récurrentes devant les consulats et les ambassades de Mauritanie. Les élections se sont donc déroulées alors que des Mauritaniens se retrouvent privés de leur droit de vote. Au total, tout semble indiquer qu’il s’agit là d’un calcul politique et d’une volonté manifeste de diminuer le nombre des noirs mauritaniens, quand on sait qu’ils constituent la première force démographique de la Mauritanie.

Sur le plan économique, la crise n’est pas non plus absente. Aziz, arrivé au pouvoir, s’était autoproclamé le président des pauvres. Mais la réalité du terrain montre que la pauvreté ne fait que s’accentuer avec le chômage des jeunes et la montée des prix des denrées de première nécessité. À tout cela s’ajoute l’expropriation des terres des populations de la vallée pour être vendues ou louées à des consortiums des pays arabes. Les contestations sont légion depuis quelques années à cause de cette nouvelle méthode d’appauvrissement des populations rurales.

En résumé, les récentes élections se sont déroulées dans une crise politique, économique, sociale et religieuse sans précédent en Mauritanie. Aziz a encore cinq ans pour consolider l’unité nationale, et régler la question de la cohabitation. La pression nationale et internationale qui s’exerce sur lui est énorme.

Source : Journal Libération (France)