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Mauritanie-Sénégal : une guerre froide nécessaire et des intérêts communs permanents à protéger
dimanche 11 décembre 2016
Par : Cheikh Aïdara
Mauritanie-Sénégal : une guerre froide nécessaire et des intérêts communs permanents à protégerPermettez-moi de partager avec vous la réflexion du Pr.Hamahoullah Ould Salem (photo ci-dessus), historien et universitaire, panarabiste engagé, défenseur invétéré de la langue arabe et anti-français notoire.
Dans un article publié sur le site « Aqlam », il développe sa vision sur la nature des relations qui doivent lier la Mauritanie au Sénégal, mais aussi à la France, et les enjeux militaro-politiques qui sous-tendent à ses yeux la construction du Port naval de NDiago, inauguré il y a quelques jours par le président Mohamed Ould Abdel Aziz.
S’il n’est pas possible selon lui de changer la géographie des lieux ni l’histoire pluricentenaire qui lie la Mauritanie et le Sénégal, les Mauritaniens devraient à ses yeux supporter un voisin aussi dérangeant que le Sénégal à travers un partenariat souple pour affronter les défis géopolitiques complexes sur nos frontières Sud, qui vont du Fleuve Sénégal jusqu’au Fleuve Niger et qui s’ouvre sur un espace qui s’étend jusqu’aux rives du Tchad, du Soudan et de l’Ethiopie, avec des intérêts certains pour la Mauritanie.
Seuls ceux qui ignorent la géographie et l’histoire, mais aussi les intérêts communs entre le Sénégal et la Mauritanie, parmi les citoyens des deux pays peuvent, selon lui, croire à une guerre possible entre les deux Etats. Et le Pr.Hamahoullah Ould Salem de souligner que les relations avec le voisin sénégalais doivent rester dans les limites du partage d’intérêts et de bon voisinage. Ces relations ne doivent jamais, selon lui, être bâties sur une confiance qui n’existe plus. Ces relations doivent toujours rester des relations normales mais dans un climat de « guerre froide » permanent, une « réelle guerre froide qui se poursuit d’ailleurs, dira-t-il, depuis les indépendances, sans que jamais elle ne s’enflamme ni se refroidisse, et sans qu’elle ne puisse connaître une fin ».
Le Pr.Hamahoullah de reconnaître que le Sénégal dispose d’une véritable élite qui participe à la prise de décision et apporte son aide par ses recherches et par ses réflexions, mais aussi d’une respectable opinion publique active dont les positions pèsent dans l’orientation de ses politiques générales. Selon lui, le Sénégal ne connaît pas de crise identitaire, étant parvenu par un large consensus tacite à régler définitivement la question culturelle et la question identitaire. Le Sénégal, dira-t-il en substance, ne cache pas ses positions vis-à-vis de son voisin du nord, la Mauritanie Il la critique très souvent, lui impose ses exigences parfois et lui a toujours arrachés des intérêts dans les projets communs liés à la gestion du Fleuve. Ainsi, selon le Pr.Hamahoullah, le Sénégal engrange au détriment de la Mauritanie un développement agricole et hydroélectrique équilibré, et la supplante dans le domaine de l’enseignement, de l’éducation et des infrastructures essentielles de base.
La situation générale a toujours été ainsi favorable au Sénégal, fait-il remarquer, et cela continue encore aujourd’hui, même partiellement. La situation se serait compliquée lorsque le pouvoir sénégalais tomba dans une erreur fatale et historique, en faisant assassiner des Mauritaniens et spolier en toute impunité leurs biens.
Et il ne s’en excusa point. Il incombait au régime mauritanien d’alors, souligne le Pr.Hamahoullah, de n’accepter aucun arrangement avec le Sénégal sans des excuses solennelles et publiques et sans compensation intégrale. Au lieu de cela, le régime mauritanien a accepté un accord à minima sous la pression de la France et tout fut effacé au détour d’une réunion de routine entre les délégations des deux pays sous la bénédiction de la direction de la sûreté extérieure et de l’anti-espionnage français. Le sang des Mauritaniens et leurs biens furent ainsi classé dans la rubrique pertes et profits, leur dignité et leur honneur avec, sous le règne de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya malgré ses positions radicales au début de la crise.
Le Pr.Hamahoullah trouve que le Sénégal s’en sortit finalement sans perte économique ni diplomatique, à cause justement de la médiocre diplomatie mauritanienne, de la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du président et de l’ignominie de certains régimes arabes ainsi que l’hypocrisie de certains Mauritaniens beïdanes. Mais le Sénégal, selon lui, perdit définitivement la confiance des Mauritaniens, tant au niveau étatique que populaire. Beaucoup de Mauritaniens eurent cependant la mémoire courte, regrette le Pr.Hamahoullah, faisant remarquer que plusieurs d’entre eux sont retournés à leurs habituelles transhumances et commerces au Sénégal dont les terres regorgeaient encore de leur sang et d’où fusaient encore leurs cris de détresse. Le tout en l’absence du moindre sursaut de leur gouvernement dans leur protection.
Ce qu’il faut aujourd’hui, selon Hamahoullah Ould Salem, c’est briser le cercle infernal qui impose depuis des siècles aux habitants du Sud de la Mauritanie de transhumer au Sénégal et au Mali, de dépendre pour leur survie des mils qui sont importés de ces pays. Il prône surtout l’élimination totale du Français dans l’administration et dans l’enseignement en Mauritanie, trouvant anormal que le pays signe un accord qui lui impose une concordance de diplôme au sein de la CEDEA dont elle s’était pourtant retirée depuis des décennies. Pour le Pr.Hamahoullah, une telle décision constitue une atteinte à la souveraineté du pays et consolide son ancrage dans le giron sénégalais et français.
Tout cela, souligne-t-t-il, se déroule sous l’actuel régime qui fait pourtant l’apologie de la résistance, en accointance avec quelques collabos foncièrement ennemis à tout ce qui est arabe ou maure, persifle-t-il. Des gens qui selon lui, rêvent d’un avenir radieux en s’appuyant sur l’aide étrangère et dans une provocation effrontée des exclus de la société mauritanienne et devant un gouvernement qui se débat. Pour le Pr. Ould Salem, assurer l’indépendance alimentaire, culturelle et administrative de la Mauritanie est la démarche la plus raisonnable. Elle est selon lui plus importante que la possession de la bombe atomique.
Le Pr.Hamahoullah estime que le retrait stratégique vers l’Afrique du Nord pour compenser les échecs au Sud comme solution est tout simplement inacceptable et suicidaire.
L’universitaire en vient ainsi au Port naval de NDiago, que le président Mohamed Ould Abdel Aziz a inauguré il y a quelques jours. Selon lui, la construction de cette importante infrastructure militaire à vol d’oiseaux du Sénégal est un choix stratégique et souverain, pour la défense des frontières fluviales et maritimes du Sud. Il ne remet nullement en question, selon lui, le principe de bon voisinage avec le Sénégal, principe basé sur la paix et l’échange réciproque.
Le Pr.Hamahoullah trouve cependant nécessaire le maintien de cette « guerre froide » comme base des relations avec le voisin sénégalais, un voisin qui serait passé à ses yeux maître en la matière. Il évoque ses pions installés en Mauritanie qu’il manipule selon les circonstances, ses anciennes prétentions territoriales sur la rive gauche qu’il brandit à l’occasion, étant entendus que la donne démographique selon le Pr.Hamahoullah peut pousser à cette « guerre froide » qui pourrait devenir à la longue une constance incontournable.
Et le Professeur de souligner qu’un affrontement militaire avec un pays où l’accroissement démographique est plus rapide peut pousser à la recherche d’un espace plus spacieux qui ne peut être trouvé que dans une Afrique du Nord arabe dérangeante, malgré le fait que la Mauritanie trouve mieux son bien-être géographique et politique dans son domaine fluvial. Une donne à méditer, conseille-t-il.
Selon le Pr.Hamahoullah Ould Salem, le financement du Port naval de NDiago ne peut en aucun cas être sur fonds propres, soulignant que la Mauritanie qui a été incapable de débourser 199 millions de dollars pour l’assainissement vital de la ville de Nouakchott, ne peut pas avoir dans ses fonds propres la bagatelle de 350 millions de dollars pour construire une telle infrastructure. Il pense que la Chine n’est pas étrangère à cette réalisation et que le Port de NDiago pourrait en définitive se transformer en une base militaire avancée de la Chine sur l’Océan Atlantique. Et cela, les Mauritaniens devraient s’en réconforter, selon le Pr.Hamahoullah, car dans ce monde des puissants, il ne resterait comme véritable allié de confiance à la Mauritanie que la République Populaire de Chine. La Russie fédérale aurait déjà un allié régional de taille, l’Algérie. Quant aux relations avec les Etats-Unis, la Mauritanie devait les renforcer, mais pas au détriment de la Chine, selon le Pr. Ould Salem.
S’agissant des relations avec la France, il trouve qu’elles doivent régresser considérablement pour être ramenées à des relations normales comme celles que nous avons avec d’autres pays européens dont certains seraient d’ailleurs plus importants et plus significatifs, comme l’Espagne, l’Allemagne et même la Norvège.
Enfin, le Pr.Hamahoullah trouve que la manière avec laquelle l’armée mauritanienne poursuit son armement est anormale et que nos plus grands malheurs viennent des régimes qui nous dirigent, des régimes qui méprisent leur élite et leurs citoyens, qui ne disposent pas d’assez de souffle ni en tant de paix ni en tant de crise, ni de position claire basée sur une identité nationale et une histoire commune, mais des gouvernements qui prennent tous ses facteurs comme cheval de Troie pour des objectifs temporaires et passagers.
Cheikh Aïdara
http://aidara.mondoblog.org