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Mauritanie, Syrie, Israël ? Rien à voir et pourtant ...
mercredi 5 février 2014
On s’était levé à 3h du matin pour pouvoir attraper notre vol à l’heure. On quittait déjà le désert de Mauritanie, son beau ciel bondé d’étoiles et ses dunes de sable. C’était comme si on était là depuis une bonne semaine, tellement le voyage avait été intense.
Habib, Arnaud B et Anissa étaient à moitié réveillés. La nuit avait été courte pour tout le monde. Un feu brûlait en plein milieu du camp. Deux casseroles remplies d’eau, un couvercle sur chacune d’elles, étaient posées sur les bûches de bois. Une belle fumée noire s’échappait dans le ciel. Les gens étaient debout, à proximité du feu et attendaient avec impatience l’eau chaude, pour pouvoir prendre leur thé ou leur café.
Un peu plus en hauteur, Oualata, la cité caravanière était toujours endormie. On entendait à peine le bêlement des chèvres. Les chameaux donnaient l’impression d’être morts et ne bougeaient pas d’une bosse.
Notre guide Saleck, un bel homme d’une trentaine d’année faisait des allers-retours incessants. Avec ses collègues, il essayait de boucler les derniers préparatifs. Pendant notre séjour ici, Saleck avait été d’une aide précieuse, toujours là à répondre à nos attentes : sans aucun doute, le meilleur guide des environs, un bonheur à lui tout seul.
Il voyait la fin de notre voyage avec une pointe de tristesse. Les temps étaient durs pour lui et les autres. L’apport du tourisme dans leur pays était essentiel. Au point mort depuis 2007 : depuis la mort de 4 français sur la route d’Aleg, ce premier voyage de Point Afrique, la plus célèbre des coopératives sur le continent, avait été un succès : il ouvrait des perspectives intéressantes sur l’avenir du tourisme, dans la région. Il avait été monté pour rassurer les clients potentiels.
Saleck espérait que d’autres Français allaient suivre. La veille, la responsable de l’office du tourisme nous avait demandé de parler des efforts de son pays, pour sécuriser toute la Mauritanie. Et c’est vrai qu’il y avait des militaires partout. Le Quai d’Orsay restait sur ses positions : pour lui, il était toujours dangereux de venir ici et déconseillait fortement la Mauritanie aux touristes français.
L’eau chaude finit par arriver et personne ne fit preuve de civilisation. C’était chacun pour sa poire. Nous restâmes en retrait, peu motivés pour jouer des coudes. Saleck vint à notre rescousse et nous débrouilla 4 tasses de café ainsi que des biscuits. Le petit déjeuner englouti, il était temps de quitter les lieux. Nous avions de la route jusqu’à l’aéroport de Néma.
Avec les autres abrutis, on avait réussi à foutre nos sacs dans le même 4/4 et on était ensemble, Habib, Arnaud B et Anissa, à faire le trajet du retour. La pleine lune rendait curieusement les étoiles encore plus éblouissantes. Tout le monde avait éteint sa torche et profitait de la lumière naturelle. Le convoi s’étirait sur plusieurs mètres : une vingtaine de bolides avait été réquisitionnée pour l’occasion.
Notre escorte militaire était impressionnante : les autorités mauritaniennes tenaient à montrer que la sécurité avait été rétablie dans leur pays. Le chemin était cabossé et les pilotes jouaient à qui irait le plus vite. Nous n’avions pas d’autre choix que de bien s’accrocher.
A Néma, l’aéroport était vide. Quelques policiers au sourire radieux étaient là à nous attendre. Il n’était que 8h du matin et le soleil cognait déjà de toute sa splendeur. Heureusement qu’une légère brise venait rafraîchir l’air. Ce petit voyage avait fait du bien à tout le monde : ces quelques jours avaient suffi à nous couper de la réalité française, mais dès l’arrivée à l’aéroport de Roissy, elle vint nous rattraper.
Les journaux parlaient en long et large de ces « dangereux jihadistes français » partis combattre en Syrie. Il y avait notamment l’histoire de ces deux mômes de Toulouse, âgés de 15 et 16 ans et qui auraient pris la poudre d’escampette « pour aller se friter avec le pouvoir syrien ». Eux, prétendaient être partis là-bas pour faire de l’humanitaire. C’était l’âge de ces deux « apprentis jihadistes » qui inquiétait les autorités françaises.
Leur voyage avait pris fin en Turquie. A leur retour en France, ils avaient été arrêtés. Tout le monde y allait de son analyse sur les trajectoires de ces deux « paumés de Toulouse ». Les habitués : les intellos à deux balles, sortaient des banalités, recrachaient un discours stéréotypé et ils étaient grassement payés pour ça.
Les politiques, Hollande et Valls en tête, mais eux, ils étaient dans le rôle, après tout c’était leur boulot de faire des déclarations à l’emporte-pièce et de faire peur aux gens, exaltaient et avançaient des chiffres démesurés. Hollande sortait un chiffre de 700. Encore un bon sujet de diversion.
Les services secrets, plus compétents pour le coup, parlaient de « 250 Français-jihadistes » partis se battre contre le pouvoir syrien. Tous s’inquiétaient de les voir revenir un jour en France après leur voyage.
Dans les analystes, il y avait aussi les Gnoules de service qui avaient accepté sans aucun mal de commenter le destin de « leurs frères », pour une minute de célébrité et pourquoi pas, grimper sur l’échelle sociale.
Je lisais les journaux et je repensais à ce que m’avait dit Simone B, une réalisatrice franco-israélienne de renom. Il y avait d’autres Français qui depuis de nombreuses années partaient dans un pays étranger pour aller se battre contre un autre peuple, mais personne ne trouvait rien à redire. On aurait aimé les entendre tous sur le cas de ces Français de confession juive qui partaient rejoindre l’armée israélienne.
Je les entendais déjà, les détracteurs, rappeler que l’Etat d’Israël était un Etat de droit et qu’on ne pouvait pas comparer des jeunes Français qui partaient faire le « jihad » en Syrie avec ceux qui servaient dans une armée reconnue de tous. Sur le papier, oui les cas étaient différents. Mais c’était oublier que l’armée israélienne était une armée d’occupation, illégale au regard du Droit International.
Je repensais à mes voyages en Palestine. Je revoyais les check-points. J’avais rencontré plusieurs Français là-bas en tenue militaire et on avait parlé longuement. – C’est normal pour toi de venir servir dans une armée d’occupation ? – Je suis là pour défendre mon pays. - T’es Français ou Israélien ? – Les deux. Mais si j’ai à choisir un pays, ça serait Israël.
Je les imaginais servir trois ans dans cette armée où on t’apprenait à mépriser, à haïr l’autre, le Palestinien, l’arabe, puis ils reviendraient, en France, libres ...
Nadir Dendoune
Source : La chronique du Tocard. Le Courrier de l’Atlas. http://lecourrierdelatlas.com/653904022014Mauritanie-Syrie-Israel-Rien-a-voir-et-pourtant.html