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Mauritanie : drôle d’ambiance au pays d’Ould Abdelaziz

vendredi 18 septembre 2015


Le pays a rarement été aussi calme. Un an après la confortable réélection de Mohamed Ould Abdelaziz, les politiques se concentrent sur… la présidentielle de 2019. Et en attendant, rien ne semble plus bouger.

Il règne à Nouakchott une atmosphère bizarre. Le président Mohamed Ould Abdelaziz préside absolument ; l’opposition s’oppose systématiquement. Les médias officiels encensent plus que de raison ; les autres dénoncent à tout-va. Rien que de très habituel dans ce jeune État où les militaires ne sont jamais loin.

Tout devrait être calme. Pas d’élections à l’horizon, plus de terroristes dans le collimateur. Il y a bien eu un léger remaniement ministériel le 2 septembre, qui porte essentiellement sur des permutations de portefeuilles, avec tout de même trois entrants. Hamadi Ould Meimou, ambassadeur auprès de l’Union africaine, prend le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération.

Ahmedou Ould Abdallah, gouverneur du Brakna (Centre-Sud), a été nommé à l’Intérieur. Et Mohamed Lemine Ould Cheikh, député de Wad-Naga (Sud) et personnalité clé de la majorité, devient ministre des Relations avec le Parlement et la société civile (département de tutelle des médias), porte-parole du gouvernement. Il remplace Izidbih Ould Mohamed Mahmoud, seul débarqué de l’équipe de Yahya Ould Hademine, le Premier ministre, qui reste à la barre.

Stagnation

Il y a bien la chute des cours du fer, de l’or et des hydrocarbures, qui inquiète à juste titre les grands argentiers du pays, mais la pluie, de retour, semble annoncer de beaux pâturages et éloigner toute famine.

Et pourtant, la Mauritanie est morose. « Nous avons l’impression de jouer et de rejouer sans cesse la même pièce, soupire Mohamed Fall Ould Oumeir, le directeur de l’hebdomadaire La Tribune. Chez nous, il n’y a toujours pas de démocratie, et nos hommes politiques préfèrent se préoccuper de choses secondaires. » Faisons le tour de la scène du pouvoir et de ses différents acteurs pour comprendre un tel désenchantement.

À l’évidence, pourtant réélu depuis à peine plus d’un an, le 21 juin 2014 (avec 81,89 % des voix au premier tour), le président est en campagne. Il « laboure » méthodiquement le territoire, sans oublier les communes reculées. Élu comme « président des pauvres », il proclame son intention de combattre la misère et la corruption. Le parti majoritaire, l’Union pour la République (UPR), s’est mis au diapason en offrant aux nécessiteux des repas de rupture du jeûne lors du ramadan, que Tawassoul, le parti d’obédience islamiste modérée, était seul à servir. Dans certains quartiers déshérités, le pain coûte moins cher, car subventionné par le gouvernement.

Améliorations

Les satisfecit ne manquent pas. Plus un seul attentat depuis quatre ans et demi. Nouakchott s’améliore. « Il n’y a pas photo, approuve Pierre-Jean Barbet, responsable de l’agence Apave International, spécialisée dans la maîtrise des risques, et président des conseillers du commerce extérieur français en Mauritanie. Sous Mohamed Ould Abdelaziz, la capitale a changé d’aspect et la sécurité y est bien réelle. »

En matière de religion, le régime zigzague, peut-être parce que le chef de l’État est un homme moderne, mais pieux et sensible aux indignations populaires. En positif, citons la répression contre les fanatiques qu’ils soient imams ou non, le week-end à nouveau fixé au samedi et au dimanche, et une liberté de la presse presque débridée.

À l’opposé figurent l’interdiction de la consommation d’alcool, y compris pour les non-musulmans, la polémique autour d’une chanteuse ayant commis un clip cheveux au vent et, surtout, la condamnation à mort pour apostasie d’un jeune « forgeron » qui comparait le sort de sa classe sociale avec celui que connaissaient les castes inférieures du temps du Prophète. Il ne sera pas exécuté, mais cette justice rendue aux cris de la populace est destinée aux franges les plus traditionalistes de l’opinion.

Une opposition désorganisée

Du côté de l’opposition, c’est la pagaille. En apparence, la plus grande partie se retrouve au sein du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) ou de la Convention pour l’alternance pacifique (CAP). Rassemblement des forces démocratiques (RFD), Union des forces de progrès (UFP), Tawassoul, etc. : tous sont d’accord pour dénoncer un régime issu d’un coup d’État et l’appropriation de l’économie nationale par le camp majoritaire.

Sauf que Tawassoul a brisé cette belle unanimité en participant aux législatives de 2013, qu’ont boycottées ses partenaires du FNDU. Deuxième parti représenté au Parlement, il est devenu le chef de file de l’opposition officielle, mais proclame, par la bouche de Hamdy Ould Brahim, son secrétaire général : « Nous faisons toujours partie du FNDU. » Un pied dedans, un pied dehors…

« Notre opposition a plusieurs défauts, analyse l’éditorialiste Mohamed Fall Ould Oumeir. Elle veut tout et tout de suite. Elle n’a pas su dégager de figures de leaders. Sa capacité de proposition est quasiment nulle. » Kissima Diagana, le rédacteur en chef de La Tribune, enfonce le clou : « Le président est actif et l’opposition, passive. Elle se contente de publier des communiqués et roule en 4×4. » Dans ces conditions, comment conduirait-elle le bouleversement social qu’elle annonce jour après jour ?

Un avenir politique réduit aux hypothèses

La grande inconnue concerne la présidentielle de 2019. Le chef de l’État ne peut plus être candidat puisque la Constitution l’empêche de briguer un troisième mandat. Même impasse du côté de l’opposition, où les plus connus seront concernés soit par la limite d’âge constitutionnelle de 75 ans, soit par la limitation du nombre de mandats à la tête d’un parti.

Ce grand vide (théorique) ouvre la porte à toutes les spéculations, car l’alternance semble inévitable, et personne ne peut en prédire le résultat. « Tout est possible », constate Ahmed Ould Cheikh, directeur de l’hebdomadaire Le Calame, plutôt pessimiste sur l’évolution vers un régime civil tant « les militaires sont incompatibles avec la démocratie ». Les hypothèses abondent.

Hypothèse no 1 : la modification de la Constitution pour permettre au sortant de se représenter une troisième fois à la présidence. « Nous sommes contre, rétorque Hamdy Ould Brahim, de Tawassoul, et les militaires aussi. »

Hypothèse no 2 : la solution « russe » de Vladimir Poutine, qui verrait le président devenir Premier ministre après avoir installé un homme à lui à la présidence. « Impossible, il n’a confiance en personne », répond Hamdy Ould Brahim.

Hypothèse no 3 : un coup d’État du président et l’instauration de la loi martiale à la suite d’un attentat terroriste, en escomptant que les partenaires occidentaux fermeront les yeux. « Risqué, poursuit le responsable de Tawassoul. Et puis on en a marre de cette intrusion des militaires qui déboucherait inévitablement sur la même impasse ! » Hypothèse no 3 bis : retarder in extremis les élections de 2019 en prétextant la préparation d’un coup d’État par l’opposition et en escomptant là encore l’indulgence complice de la communauté internationale.

Hypothèse no 4 : accélérer le processus électoral. Ce serait la solution la plus subtile et la plus délicate à mettre en œuvre, car elle suppose l’accord de l’opposition. Il s’agirait pour le pouvoir de proposer à celle-ci un accord donnant–donnant : des législatives et une présidentielle anticipées permettraient aux chefs de l’opposition de devancer la limite d’âge, à leurs partis de retrouver des sièges qui leur manquent cruellement (et, par là même, une crédibilité écornée) et au chef de l’État de se représenter… sans que cela constitue un troisième mandat. Les tractations conduites à tâtons, cette année, entre majorité et opposition dans le cadre d’un « dialogue » plusieurs fois avorté seraient les préliminaires à cette stratégie.

Absence de perspectives

Conclusion ? Aucune. « Nous souhaitons que le meilleur gagne grâce à des conditions égales pour tous et que les militaires prennent leurs distances, répond Ahmed Kharachi, secrétaire de Tawassoul chargé des affaires extérieures. Malheureusement, tout dépend du pouvoir et nous ne savons pas ce qui va se passer. C’est un grand point d’interrogation. »

Cette absence de perspectives explique la morosité des élites et les frustrations qui s’expriment à tous les étages d’une société d’autant plus à la recherche de ses équilibres que les trois quarts des Mauritaniens ont moins de 40 ans. Un changement de génération débloquera-t-il la situation ?

Alain Faujas

Source : Jeune Afrique