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Mauritanie : une plainte pour « torture » déposée en France

mardi 15 novembre 2016


Alors que le procès en appel de treize militants anti-esclavagistes de l’ONG IRA s’est ouvert lundi en Mauritanie, trois avocats français lancent une procédure en France visant des hauts gradés accusés d’être les « architectes de la torture ».

Ils ont estimé qu’ils seraient « plus utiles » à Paris qu’à Zouerate, dans le désert mauritanien, où s’est ouvert lundi le procès en appel de treize militants de l’ONG IRA (Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste). Les avocats William Bourdon, Georges-Henri Beauthier et Amélie Lefebvre ont déposé une plainte contre X au tribunal de grande instance de Paris pour « torture » et « traitements cruels ». En détention, cet été, les treize activistes anti-esclavagistes auraient été « privés d’eau, attachés et suspendus, frappés à coups de fils de fer, forcés à signer des aveux et des fausses déclarations », a détaillé le président d’IRA, Biram Dah Abeid, au cours d’une conférence de presse organisée lundi à Paris.

Lui-même un descendant d’esclaves, membre de la caste des Haratins ou « Maures noirs », il a été distingué par le prix des Nations unies pour la cause des droits de l’homme en 2013. Il dénonce avec constance depuis des années un « racisme d’Etat », encouragé par le « clergé local ». Selon son ONG, 20% de la population mauritanienne est encore soumise à l’esclavage en Mauritanie, même si la pratique a été officiellement abolie en 1981 et que la législation a été renforcée l’an dernier.

Biram Dah Abeid a été condamné à six mois de prison en 2012 pour avoir symboliquement brûlé un manuel de jurisprudences malikites (école du sunnisme majoritaire en Mauritanie) qui, selon IRA, prônent l’esclavage et le justifient. Il s’est toutefois présenté à la présidentielle en 2014, où il a obtenu officiellement 9% des voix. Ce score a-t-il été considéré comme un affront pour le chef de l’Etat, Mohamed ould Abdel Aziz ? Le militant a ensuite passé dix-huit mois en prison (1) pour « participation à une manifestation interdite » et « rébellion non-armée » alors qu’il soutenait une caravane « pour dénoncer l’esclavage foncier ». Il a été libéré le 17 mai.

Déplacement forcé
« Quand le régime a vu la foule qui m’a accueilli, le jour de ma sortie de prison, il a pris peur, assure le leader abolitionniste. Il a estimé que j’étais désormais trop connu à l’étranger pour s’en prendre à moi directement, mais il a décidé de décapiter le mouvement en arrêtant tous ses cadres. » Les treize militants d’IRA ont été interpellés entre le 30 juin et le 10 juillet pour leur participation présumée à une manifestation contre le déplacement forcé d’habitants du bidonville de Ksar, dans la banlieue de Nouakchott. Le rassemblement avait dégénéré en affrontements avec la police. Accusés de « rébellion, usage de la violence, attaque contre les pouvoirs publics, attroupement armé et appartenance à une organisation non reconnue », les opposants ont été condamnés par la Cour criminelle de Nouakchott à des peines allant de trois à quinze ans de prison. Ils ont été depuis transférés à Zouerate, à 700 kilomètres de la capitale. « Ces poursuites judiciaires sont politiquement motivées et destinées à étouffer les groupes et individus qui favorisent les droits de l’homme et qui s’opposent à des politiques gouvernementales », ont dénoncé des experts de l’ONU le mois dernier.

Dénonçant un « procès de complaisance », où « tout est pipé », les avocats français et belge ont préféré initier une procédure à Paris au nom de la compétence universelle, qui autorise la France à poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité. « Les plaignants ont identifié une vingtaine de hauts gradés dans ce dossier, des responsables bien connus pour être les architectes de la torture en Mauritanie », explique William Bourdon. Selon l’avocat, ces cadres du régime effectuent des séjours réguliers en France. « Nous aurons un rôle de chiens de garde, ajoute Georges-Henri Beauthier. Ils doivent se sentir juridiquement menacés s’ils mettent un pied sur le territoire français pour parader, se soigner, rejoindre des amis, faire des affaires, etc. »

Indulgence française
Mais la bataille sera aussi diplomatique, précise Aurélie Lefebvre : « Les leviers politiques font partie de la solution », indique-t-elle. Biram Dah Abeid a été reçu récemment à l’Elysée par le conseiller Afrique de François Hollande, Thomas Mélonio, mais la France n’a jamais réagi officiellement à la condamnation des militants d’IRA. William Bourdon voit dans cette indulgence pour le régime mauritanien un « effet pervers » de la lutte antiterroriste. Nouakchott est en effet un partenaire de poids de Paris de l’opération Barkhane, qui traque les jihadistes sur l’ensemble de l’espace sahélien.

(1) Ce paragraphe a été corrigé et actualisé le 16 novembre pour préciser les chefs d’accusation qui visaient Biram Dah Abeid.

Célian Macé

Source : Liberation.fr (France)