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Médias Mauritanie : le jeu dangereux d’ANI et Sahara Média avec Aqmi

lundi 22 avril 2013


Photo : Les locaux du quotidien Nouakchott Info, qui dépend de l’ANI. © DR

Premiers destinataires des communiqués d’Aqmi, les deux groupes de presse ne se privent pas de les publier. Une proximité qui assure leur audience, mais les place sous le feu des critiques.

À chaque fois, le même procédé. Un coup de téléphone et puis plus rien. « Les hommes d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique, NDLR] sont conscients des dangers du téléphone. Ils jettent leurs puces après leurs appels, il est impossible pour nous de les recontacter », assure Mohamed Ould Khattatt, rédacteur en chef à l’Agence Nouakchott d’information (ANI). Ayant bien souvent la primeur des communiqués de la nébuleuse terroriste, le petit groupe de presse privé mauritanien (dont dépendent le site et le quotidien Nouakchott Info, ainsi que Radio Nouakchott) ne se prive pas de les publier. Tout comme Sahara Média, une autre agence mauritanienne (qui compte un site internet et une radio) contactée régulièrement par Aqmi. Les sites des deux groupes, sur lesquels transitent toutes les vidéos des otages occidentaux retenus au Sahel, sont devenus la seule source des médias internationaux. Mais ne jouent-ils pas ainsi le jeu du groupe jihadiste ?

Après la prise d’otages d’In Amenas, en janvier, l’ANI s’est retrouvée dans la tourmente. Accusée par le quotidien algérien El Watan d’avoir relayé la « propagande des terroristes » en acceptant de publier les communiqués des assaillants, l’agence a dû s’expliquer devant la Haute Autorité de la presse et de l’audiovisuel (Hapa) mauritanienne. « Nous ne faisons que notre travail. Quand une info nous parvient, on ne doit pas la garder pour nous, estime Ould Khattatt. Soit nous publions le communiqué tel quel, soit nous rédigeons une dépêche. La Mauritanie étant première des pays arabes au classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, nous pouvons nous permettre de le retravailler dans les règles de l’art avant de le relayer. » Sahara Média a échappé aux critiques. Pourtant, il avait aussi dépêché un journaliste à In Amenas. Mais c’est l’ANI, en liaison téléphonique avec les ravisseurs, qui a eu le privilège des scoops.

Écoles coraniques

L’Agence Nouakchott d’information a été créée en 2007 par la société Mapeci, dont le propriétaire, Cheikhna Ould Nenni, soutenait Maaouiya Ould Taya (au pouvoir de 1984 à 2005). S’il a subi beaucoup de pressions à la chute du colonel, ce n’est désormais plus le cas. Sa nièce, conseillère à l’ambassade de Mauritanie à Washington, est l’épouse du chef d’état-major de l’armée, Mohamed Ould Ghazouani. Ce n’est pas un hasard si la petite structure a aujourd’hui la confiance d’Aqmi : Mohamed Mahmoud Ould Aboulmaali, le directeur exécutif de Mapeci, a commencé à enquêter peu après le 11 septembre 2001 sur les jihadistes mauritaniens qui partaient vers In-Khalil (Nord-Mali) et l’Algérie rejoindre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Il les a vus grandir et évoluer. En 2007, il a reçu leur premier communiqué et, en 2011, a décroché à Gao une interview exclusive de l’ancien émir d’Aqmi Mokhtar Belmokhtar.

Abdallah Ould Mohamedi, le patron de Sahara Média - par ailleurs ancien correspondant de l’agence marocaine de presse MAP et d’Al-Jazira pour l’Afrique de l’Ouest -, a lui aussi commencé à s’intéresser très tôt aux groupes jihadistes. Hormis un bon réseau, Ould Mohamedi, réputé prudent, a surtout d’importants moyens matériels : il dispose de bureaux à Dakar et à Casablanca et possède un studio de télévision ultramoderne à Nouakchott.

Mais une autre raison explique qu’Aqmi ait jeté son dévolu sur les médias mauritaniens. « Les écoles coraniques du pays étant réputées pour leur bon niveau, les Mauritaniens recrutés par le groupe se voient généralement confier un rôle théologique, explique Hacen Ould Lebatt, auteur d’une étude sur Aqmi*. Ce sont eux qui s’occupent de rédiger les communiqués et qui contactent la presse. » En mars, c’est encore l’ANI qui a diffusé les communiqués annonçant l’exécution de l’otage français Philippe Verdon.

* L’étude est disponible sur defnat.fr/site_fr/archives/res_auteurs.php ?caut=3511

Source : Jeune Afrique